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supposer qu’un pays aussi fortement organisé, habitué depuis des siècles à se suffire à lui-même, se crée du jour au lendemain des besoins pour nos importations et des produits pour nos exportations; je veux faire comprendre combien il est peu probable qu’un traité soit le sésame magique devant lequel s’ouvrira cette société mystérieuse. L’influence des missions, arme si souvent employée dans ces parages lointains, serait ici en outre impuissante à nous frayer les voies, car l’inévitable apanage des civilisations anciennes, l’indifférence religieuse, semble avoir atteint le Japonais. — Combien comptez-vous de religions dans le pays? demandait l’empereur aux prêtres bouddhistes qui se plaignaient à lui de l’envahissement des missionnaires chrétiens. — Trente-cinq, répondirent-ils. — Quel inconvénient voyez-vous donc à une trente-sixième? — Telle fut la décision peu orthodoxe du philosophe couronné.

Malgré la force très réelle que le Japon est en mesure d’opposer à l’envahissement de toute influence étrangère, l’Europe n’en est pas moins dans son véritable rôle en cherchant à franchir ce cordon sanitaire si radicalement en désaccord avec les idées du siècle. Qu’il soit peu raisonnable d’attendre prochainement un résultat complet, c’est ce que reconnaîtra tout bon esprit; mais qu’il en faille désespérer, c’est ce qu’il serait encore plus absurde d’admettre. Ce pays est une citadelle assez forte pour braver toutes les chances d’un assaut immédiat; il ne s’ensuit pas qu’il soit à l’épreuve d’un siège en règle, et nul doute que celui qui prendra la résolution de l’approcher patiemment, au moyen des circonvallations successives de parallèles habilement tracées, ne réussisse à pénétrer au cœur de la place. C’est ainsi qu’avait compris la question l’intelligent officier auquel le cabinet de Washington avait confié ses intérêts dans ces mers. Tout en négociant un traité dont probablement la portée actuelle ne lui faisait pas illusion, le commodore Perry étudiait sans cesse les positions avancées où pourraient dès maintenant s’établir des colonies américaines, en se réservant, dit sa correspondance, de discuter ultérieurement le droit de souveraineté. A ce point de vue, deux archipels secondaires méritent de fixer l’attention, celui des îles Bonin et celui des Lou-Tchou, visité sous la restauration par le navigateur Basil Hall. On raconte qu’admis au retour de son voyage près de l’illustre captif de Sainte-Hélène, le capitaine anglais lui représentait ce dernier groupe comme jouissant d’une paix éternelle — « Pas de guerre! c’est impossible! » lui fut-il