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Il apprendra bien par qui il a été culbuté, et vous serez sage si vous quittez le pays.

— Ah ! c’est donc l’opinion de tout le monde qu’il ne faut pas lui déplaire ?

— Dame ! il a fait mourir son père par le poison, son frère par le poignard et sa belle-sœur par la faim, et tant d’autres personnes que ma tante Karine sait bien, et que tout le monde saurait, si elle voulait parler ; mais elle ne veut pas !

— Et vous ne craignez pas que la colère du baron ne se tourne contre vous, quand il apprendra que c’est le traîneau de votre père qui l’a fait verser ?

— Ce n’est pas la faute du traîneau, et encore moins la mienne. Vous avez voulu conduire ! Si j’avais conduit, ça ne serait peut-être pas arrivé ; mais ce qui doit arriver arrive, et quand le mal tombe sur les méchans hommes, c’est que Dieu le veut ainsi !

Christian, toujours obsédé de la supposition qui l’avait frappé si cruellement, frissonna encore à l’idée qu’il venait d’être l’instrument parricide de la destinée. — Non, non ! s’écria-t-il en se répondant à lui-même plus qu’il ne songeait à répondre au fils du danneman, ce n’est pas moi qui suis la cause de son mal ; les médecins ont dit qu’il était condamné depuis vingt-quatre heures !

— Et ma tante Karine aussi, elle l’a dit ! reprit Olof. Soyez donc tranquille, allez, il n’en reviendra pas.

Et Olof se remit à chanter entre ses dents son triste refrain, qui de plus en plus rappelait à Christian l’air monotone entendu la veille dans les galets du lac.

— Est-ce que la tante Karine ne va pas quelquefois au Stollborg ? demanda-t-il à Olof.

— Au Stollborg ! dit le jeune garçon. Je ne le croirais que si je le voyais.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle n’aime pas cet endroit-là ; elle ne veut pas seulement qu’on le nomme devant elle.

— D’où vient cela ?

— Qui peut savoir ? Elle y a pourtant demeuré autrefois, du temps de la baronne Hilda ; mais je ne peux pas vous en dire davantage, parce que je n’en sais que ce que je vous dis là : on ne parle jamais chez nous du Stollborg ni de Waldemora !

Christian sentit qu’il y aurait quelque chose d’indélicat à questionner le jeune danneman sur les rapports que sa tante pouvait avoir eus avec le baron. D’ailleurs son esprit devenait si triste et si sombre qu’il ne se sentait plus le courage de chercher à en savoir davantage pour le moment.

Le changement brusque survenu dans l’atmosphère ne contribuait