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— Rouvrez la saignée, s’écria Stangstadius au docteur. Je voyais bien que vous la fermiez trop tôt. Ne l’ai-je pas dit ? Et puis, laissez ensuite cinq minutes de repos au malade !

— Mais le froid, monsieur le professeur, dit le médecin en obéissant machinalement à Stangstadius : ne craignez-vous pas que le froid ne soit un agent mortel en de pareilles circonstances ?

— Bah ! le froid ! reprit Stangstadius ; je me moque bien du froid de l’atmosphère ! Le froid de la mort est bien pire ! Laissez saigner, vous dis-je, et ensuite laissez reposer. Il faut faire ce qui est prescrit, advienne que pourra.

Et il ajouta en se tournant vers Christian : — Il est dans de mauvais draps, tenez, le gros baron ! Je ne voudrais pas être dans sa peau pour le moment… Ah çà ! où diable vous ai-je donc vu ?

Puis, ramassant quelque chose sur la neige et changeant d’idée : — Qu’est-ce, dit-il, que cette pierre rouge ! Un fragment de porphyre ? Dans une région de gneiss et de basaltes ? Vous avez apporté cela de là-haut ? ajouta-t-il en montrant les cimes de l’ouest. C’était dans vos poches ? Ah ! vous voyez que je ne serais pas facile à égarer, moi ! Je connais toutes les roches à la forme, et à deux lieues de distance !

Le traîneau du baron était enfin de retour, et, quelques momens après, une nouvelle amélioration dans son état s’étant manifestée, on put arrêter le sang et remettre le malade dans son équipage, qui le ramena au pas jusqu’au château, tandis que Christian partait en avant avec le fils du danneman.

— Eh bien ! lui dit le jeune garçon quand ils eurent dépassé l’équipage lugubre, qu’est-ce que je vous disais quand la chose est arrivée ? Qu’est-ce qu’elle avait dit, la tante Karine ?

— Je n’ai pas bien compris la chanson, répondit Christian, absorbé dans ses pensées. Elle n’était pas gaie, ce me semble.

— « Il laisse son âme à la maison, repartit Olof, et quand il viendra la reprendre, il ne la retrouvera plus. » N’est-ce pas bien clair cela, herr Christian ? Le iarl était malade, il a voulu secouer le mal ; mais l’âme n’a pas voulu aller à la chasse, et peut-être bien qu’à présent elle est en route pour un vilain voyage !

— Vous haïssez le iarl ? dit Christian. Vous pensez que son âme est destinée à l’enfer ?

— Cela, Dieu le sait ! Quant à le haïr, je ne le hais pas plus que ne font tous les autres. Est-ce que vous l’aimez, vous ?

— Moi ? Je ne le connais pas, répondit Christian, frémissant intérieurement de sentir cette haine en lui-même plus vive peut-être que chez tout autre.

— Eh bien ! s’il en réchappe, reprit l’enfant, vous le connaîtrez !