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contribua à nettoyer le terrain de ces projets empiriques dont l’assemblée était assaillie, et qui aboutissaient à une spoliation plus ou moins déguisée. L’état de sa santé ne lui permettait pas toujours de porter à la tribune le développement de ses opinions; mais si l’orateur fut quelquefois empêché, le publiciste ne fut jamais en défaut, La presse était son véritable instrument, et il se servait de cette arme familière avec une dextérité et une intrépidité infatigables. A toutes les erreurs, à toutes les subtilités des sectes, il répondit par des pamphlets qui firent quelque bruit, et dont plusieurs ont survécu à la circonstance. L’un des honneurs des économistes sera d’avoir les premiers parlé le langage du bon sens à une nation qui semblait frappée de démence, et l’un des titres de cette Revue sera de leur avoir ouvert ses pages malgré les périls et les clameurs de la rue. Dès le 15 mars 1848, M. Michel Chevalier publiait une série d’articles où le courage rehaussait le talent; M. Léon Faucher et plus tard M. Léonce de Lavergne se jetaient à leur tour dans la mêlée avec non moins de fermeté et de succès, tandis que M. Wolowski se rendait l’interprète des vérités méconnues en face des ouvriers eux-mêmes et dans ce concile populaire qui siégeait sur les bancs du Luxembourg. Bastiat ne vint qu’ensuite; mais une fois engagé, il montra son opiniâtreté habituelle et ne quitta plus la partie. Il s’attaqua successivement aux chefs de secte, depuis les plus furibonds jusqu’au plus cauteleux, aussi insensible aux diatribes sournoises de M. Pierre Leroux qu’aux invectives triviales de M. Proudhon.

Le plan général de ces pamphlets est très simple, et les détails répondent à la simplicité du plan. Toutes les sectes qui prétendaient alors à l’empire avaient un objet commun : c’était de substituer à nos civilisations positives une civilisation de leur choix et de leur goût, plus idéale chez ceux-ci, plus sensuelle chez ceux-là, c’est-à-dire des combinaisons artificielles dans toutes leurs variétés. En fait, Bastiat se proposait deux choses : prouver d’abord que ces combinaisons ne soutenaient pas l’examen, que non-seulement elles s’excluaient l’une l’autre, et qu’après avoir vidé leur querelle avec les vieilles sociétés, elles auraient à régler entre elles un différend bien autrement épineux, mais qu’elles étaient en désaccord avec la nature de l’homme, avec ses instincts, ses besoins, ses sentimens, tels qu’ils résultent de l’étude du cœur et de l’expérience des siècles. Cette démonstration achevée et après avoir mis à nu l’incohérence et la vanité de ces systèmes, Bastiat en venait à dire qu’il était superflu de se mettre l’esprit à la torture pour trouver ce qu’on avait sous la main, et qu’il y a dans l’organisation naturelle des sociétés de bien autres ressources que dans les procédés artificiels. Il montrait alors comment des positions acquises on pouvait marcher,