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château, et fait de nombreuses campagnes sous les auspices de la gauche. Cependant il ne se mit point en avant et resta pendant plus d’un mois à l’écart. La curée des places avait commencé, et ce spectacle lui inspirait moins d’envie que de dégoût. Comme il le dit lui-même, il regardait le mât de cocagne et n’y montait pas. Ce ne fut qu’à la demande d’un comité local qu’il consentit à figurer sur la liste des représentans du département des Landes. Aucune opposition ne lui vint ni de la part des conservateurs, trop heureux quand ils rencontraient de pareils noms, ni de la part du commissaire du gouvernement provisoire, qui était un homme de cœur et d’honneur. L’élection réunit ainsi une sorte d’unanimité; Bastiat passa en très bon rang et vint siéger à l’assemblée constituante.

Il y eut là pour lui une des plus rudes épreuves auxquelles il ait été soumis. Par de certains côtés il se rattachait au régime nouveau, par d’autres il s’en séparait avec une répugnance invincible. L’idée d’une république lui souriait; mais sa république à lui n’avait rien de commun avec cette république turbulente et envieuse qui ne se rendait manifeste que par ses égaremens. Il appartenait à une petite école qu’animaient des intentions droites plutôt qu’un exact sentiment des faits, et qui espérait tirer quelque chose de raisonnable d’un événement dénué de toute raison, et que la saine partie du pays jugea d’abord pour ce qu’il était, une surprise et une violence. Il croyait à un arrangement fondé sur le respect des droits et à la conciliation des esprits dans un retour vers des idées de justice; il s’imaginait que la république, délivrée des factieux et des insensés qui la déshonoraient, redeviendrait ce qu’elle aurait dû être, la forme la plus utile au développement des intérêts, sous l’égide de la liberté. Voilà quelle était sa chimère et ce qui fit dévier son coup d’œil ; voilà comment, au milieu de services très réels, il resta sans autorité et sans influence. Il y avait alors en France une conscience qui devait dominer toutes les consciences individuelles, c’était celle de la nation, honteuse de voir à quels maîtres on l’avait livrée, épouvantée du désordre qui régnait, et se refusant à chercher son salut dans les institutions qui avaient causé tant de ruines. Bastiat resta donc dans la pire des situations où puisse se trouver un homme politique, l’isolement : suspect aux meneurs populaires, à qui il arrachait leur masque, non moins suspect au parti qui s’efforçait de faire succéder un peu d’ordre et de repos à tant d’angoisses et de bouleversemens.

Il n’en resta pas moins fidèle aux idées qui honorent sa vie, et marcha d’un pas ferme dans une route semée d’écueils où il ne devait compter que sur lui-même. Nommé membre et vice-président du comité des finances, il y défendit les vrais principes du crédit, et