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il ne laisse aucune erreur debout, et, s’il s’arrête aux injures, c’est pour les rejeter sur ceux qui y ont recours et en homme qui n’en est pas atteint. Il faut que l’effet de ces opuscules ait été grand, même hors de France : on les a traduits en quatre langues; ils rappellent, par le tour et le mouvement, ceux que l’abbé Galiani publia vers le milieu du siècle dernier et qui lui firent une réputation parmi les premiers économistes.

Bastiat, on le voit, était déjà bien mêlé à la vie de Paris, et pourtant il n’y séjournait qu’au pied levé. De temps en temps il lui prenait de violens désirs de revoir ses landes, et les motifs ne lui manquaient pas : ses fonctions, qu’il n’avait pas abandonnées, le besoin de repos et de recueillement. « Cette Babylone n’est pas ma place, écrivait-il à M. Cobden, et il faut que je me hâte de rentrer dans ma solitude. » « Je suis ici, à Mugron, écrit-il ailleurs, dans une position honorable et tranquille, quoique modeste... A Paris, je ne pourrais me suffire qu’en tirant parti de ma plume, chose que je ne blâme pas chez les autres, mais pour laquelle j’éprouve une répugnance invincible. » Un autre espoir, plus vague, mais toujours persistant, se joignait à ces accès de misanthropie, et l’enchaînait au pays natal : c’était une candidature politique. On n’y avait pas renoncé pour lui, et il n’y renonçait pas lui-même. Deux fois, en 1845 et en 1846, l’occasion se présenta. L’arrondissement avait un député à nommer, et l’administration appuyait ouvertement M. de Larnac. Bastiat se jeta dans la lice, et distribua une profession de foi où, au milieu de considérations économiques, il abordait une question politique qui partageait alors les chambres et causait une certaine émotion dans le pays. C’était une réforme parlementaire qui eût frappé d’incompatibilité les fonctions publiques et le mandat législatif. Vis-à-vis de M. de Larnac, la querelle n’était pas très fondée; il n’appartenait à aucune administration, et on ne pouvait lui opposer que des services rendus à la famille régnante, les plus dignes dont un homme de cœur et d’esprit puisse s’honorer. Bastiat n’en prit pas moins à partie le précepteur d’un des enfans du roi Louis-Philippe. Il y eut un échange de lettres qui furent livrées à la publicité, et où l’avantage resta à celui des deux concurrens qui avait montré le plus de modération et de goût. M. de Larnac fut élu, et sous l’empire de chances telles que Bastiat ne poussa pas l’épreuve jusqu’au bout, et se désista avant le scrutin. Il est à croire que cet échec lui fut sensible, et quand plus tard la révolution de 1848 l’envoya à l’assemblée constituante, il essaya d’y prendre une revanche, et d’obtenir de la république une satisfaction que la monarchie lui avait refusée. Il porta à la tribune une motion qui n’était que le commentaire de ses lettres à M. de Larnac, et qui tendait à exclure les représen-