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et vécut pour ainsi dire au milieu de cette agitation étrangère dont la marche avait pour lui l’attrait d’un spectacle et le mérite d’un enseignement. Il assistait à ces réunions populaires, formidables par le nombre et par la vigueur des résolutions, suivait les orateurs à la tribune, se rendait familières les formes de cette éloquence appropriée à un auditoire pris dans tous les rangs, tantôt triviale, tantôt élevée, mais toujours marquée au coin d’un bon sens irrésistible, s’emparait des argumens les plus solides, et traduisait les passages les plus saillans pour en former la matière d’un volume qui pût initier notre public aux détails d’une révolution dont il ne soupçonnait pas encore l’importance. A l’appui, et comme prélude, Bastiat résuma la substance des faits dans un article auquel il mit tous ses soins, et qui avait pour titre : De l’Influence des Tarifs anglais et français. Cet article était écrit un peu à l’aventure, et n’avait pas de destination précise; il semble même que, faute d’occasion, l’auteur le garda pendant quelque temps dans ses cartons. Enfin il en risqua l’envoi, et l’adressa, sans autre recommandation qu’une lettre d’avis, à un recueil mensuel spécialement ouvert aux questions d’économie politique et de statistique.

Il n’est pas rare de voir s’élever parmi les écrivains éconduits des plaintes amères sur le délaissement dont ils sont frappés. A les entendre, c’est une faveur aveugle qui préside au choix des matières dont se compose une publication périodique en possession de quelque crédit, et le mérite inconnu n’y a d’accès que s’il est suffisamment appuyé. Bien des exemples prouveraient que cette accusation, pour être banale, n’en est pas plus juste, et le plus imposant sans contredit est celui de cette Revue, où beaucoup d’entre nous ont fait leurs premières armes, et qui, en produisant tant de noms nouveaux, a rendu manifeste cette vérité, que les œuvres se protègent elles-mêmes. L’article de Bastiat arrivait de la province, et n’avait aucun patron à Paris; il portait une signature qu’aucune notoriété n’accompagnait : il n’en fut pas moins accueilli, jugé et inséré. L’effet ne s’en fit pas attendre; la matière était neuve, le tour belliqueux; c’en était assez pour produire une certaine impression sur le petit groupe de savans qui défendaient les principes de l’économie politique contre le déchaînement des intérêts et l’indifférence du public. Un auxiliaire leur arrivait, qui montrait non-seulement du talent, mais du courage, et se jetait dans la mêlée avec le feu qui anime des troupes fraîches à leur premier engagement. Les rangs s’ouvrirent, et on donna au nouveau champion une place d’honneur. Des éloges, des encouragemens allèrent le surprendre dans sa retraite, et il s’en montra plus réjoui qu’enivré. On lui demandait des communications nouvelles; il s’y prêta volontiers, et commença la pre-