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Et Olof se mit à chanter sur un air à porter le diable en terre. « Et quand le iarl reviendra à la maison pour reprendre son âme, l’âme du iarl ne sera plus à la maison. »

Au moment où le jeune Dalécarlien achevait ces mots mystérieux, un traîneau lancé à fond de train venait derrière le sien, et la voix retentissante d’un cocher criait : « Place ! place ! » d’un ton impérieux, tandis que sa main fouettait ses quatre chevaux, que l’odeur des ours emportés par Christian épouvantait de loin. On était sorti de la montagne, et on se trouvait sur le chemin étroit qui se dirigeait vers le lac. Christian, pressentant qu’on le culbuterait s’il ne se rangeait pas, et ne voyant aucun moyen de se ranger sans se culbuter lui-même dans le talus qui bordait l’Elf, fouetta le cheval du danneman pour le lancer en avant, et parvint ainsi à un endroit où il lui était possible de faire place ; mais, au, moment où il réussissait à prendre sa droite, le traîneau de derrière, conduit par des chevaux impétueux et par un cocher brutal, le rasa de si près que les deux traîneaux furent culbutés simultanément.

Christian se trouva par terre avec Olof et ses quatre ours, et si bien enfoncé dans la neige amoncelée au bord du chemin, qu’il lui fallut quelques instans pour savoir où et avec qui il se trouvait enterré de la sorte. La première voix qui frappa son oreille, le premier visage qui réjouit son regard furent le visage et la voix de l’illustre professeur Stangstadius. Le savant n’avait aucun mal, mais il était furieux, et, s’en prenant à tout hasard à Christian, qui n’était pas masqué et avec qui, en se relevant, il se trouvait face à face, il l’accabla d’injures et le menaça de la colère céleste et des malédictions de l’univers.

— Là, là, tout doux ! lui répondit Christian en l’aidant à se remettre sur ses jambes inégales : vous n’avez rien de cassé, monsieur le professeur. Dieu soit loué ! L’univers et le ciel sont témoins du plaisir que j’en ressens ; mais si c’est vous qui conduisiez si follement l’équipage, vous n’êtes guère aimable pour les gens qui n’ont pas d’aussi bons chevaux que les vôtres. Ah çà, laissez-moi, ajouta-t-il en repoussant doucement le géologue, qui faisait mine de le prendre au collet, ou bien, la première fois que je vous rencontrerai sur le lac, je vous y laisserai geler, au lieu de me meurtrir les épaules à vous rapporter.

Le professeur, sans chercher à reconnaître Christian, continuait à déclamer pour lui prouver que l’accident était arrivé par sa faute, lorsque Christian, qui ne songeait qu’à ramasser son gibier avec Olof, aperçut, au milieu des quatre ours, un homme de haute taille, étendu sans mouvement, la face tournée contre terre. En même temps un jeune homme vêtu de noir et pâle de terreur arrivait du