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— La tante ne l’a jamais voulu, répondit le jeune gars en soupirant.

— La tante Karine ?

— Il n’y en a pas d’autre chez nous.

— Et on fait tout ce qu’elle veut ?

— Tout.

— Elle avait fait sur toi quelque mauvais pronostic ?

— Elle dit que je suis trop jeune.

— Et elle a raison peut-être ?

— Il faut bien qu’elle ait raison, puisqu’elle le dit.

— C’est une femme qui en sait plus long que les autres, à ce qu’il paraît ?

— Elle sait tout, puisqu’elle cause avec…

— Avec qui cause-t-elle ?

— Il ne faut pas que je parle de cela ; mon père me l’a défendu.

— Dans la crainte que l’on ne se moque de sa sœur ; mais il n’a pas craint cela de moi, puisqu’il m’a dit de lui demander mon destin à la chasse.

— Et elle vous l’a dit ?

— Elle me l’a dit. Où a-t-elle pris sa science ?

— Elle l’a prise où elle la prend encore : dans les cascades où pleurent les filles mortes d’amour, et sur les lacs où les hommes du temps passé reviennent.

— Elle marche donc encore ?

— Elle n’est pas vieille, elle a cinquante ans.

— Mais je la croyais infirme ?

— Elle marcherait plus vite et plus loin que vous.

— Alors elle est malade dans ce moment-ci, puisqu’elle reste couchée pendant que l’on se met à table ?

— Elle n’est pas malade. Elle est fatiguée souvent comme cela, quand elle a été debout pendant trop longtemps.

— Je croyais qu’elle ne travaillait pas ?

— Elle ne travaille pas ; elle parle ou elle marche, elle chante ou elle prie, et, que ce soit la nuit ou le jour, elle veille jusqu’à ce que la fatigue la fasse tomber. Alors elle dort si longtemps qu’on la croirait morte ; mais quelquefois on est bien étonné le matin, quand on va à son lit, de ne plus la trouver ni là, ni dans la maison, ni sur la montagne, ni nulle part où l’on puisse aller.

— Et où pensez-vous qu’elle soit quand elle disparaît ainsi ?

— Les mauvaises gens disent qu’elle va à Blaakulla ; mais il ne faut pas les croire !

— Qu’est-ce donc que Blaakulla ? Le rendez-vous des sorcières ?