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l’Allemagne aussi est la terre des chênes. Le pays de Pelage, d’Abélard, de Descartes, avait-il le droit de maudire ainsi le pays de Leibnitz et de Kant ? Cette aversion que les Schlegel et autres avaient témoignée à la France avait son origine en 1813, c’était le réveil du sentiment national ; je le réfutai avec ses principes mêmes, avec ses vers, je lui rappelai la pièce aux Prêtres de Bretagne. Je vis ses yeux s’emplir de larmes ; il prit le papier où était tracée son invective et le déchira en morceaux.

On a parlé aussi de son existence trop peu assise et de son médiocre souci des conventions mondaines. Brizeux, si élégant dans sa jeunesse (c’est ainsi que le peint ce condisciple dont je citais plus haut les souvenirs), avait contracté en voyageant des allures toutes nomades. À coup sûr, il tenait plus à l’élégance morale qu’à la correction extérieure. Pendant ses longs séjours au milieu des paysans de la vallée du Scorf, étudiant les mœurs et le langage rustiques, passant les soirs au coin de l’âtre, dans la métairie ou l’auberge du bourg, il y avait pris des habitudes qu’il n’oubliait pas assez en revenant à la ville. Sa vie errante, cette manière de travailler dans les rues, cette parfaite ingénuité qui ne se défie ni des sots ni des pédans, tout cela pouvait lui nuire. Quelquefois même ce n’étaient pas les pédans et les sots qui le blâmaient ; ses amis ne lui ménageaient pas les conseils, et quel vrai poète n’a pas eu besoin dans sa vie d’être guidé parfois comme un enfant ? Quant à ceux qui ont envenimé ces reproches pour fermer à l’auteur de Marie et des Bretons les portes de l’Académie française, je leur souhaite de n’avoir jamais sur la conscience de plus graves péchés que les siens. Ses torts, s’il en eut, n’ont nui qu’à lui seul ; ses vertus ont profité à plus d’un. Il a honoré les lettres autant qu’aucun écrivain de ce temps-ci. Quand je me représente l’indépendance de son caractère, la pureté de sa vie, son amour de la France, sa fidélité à l’art et à l’amitié, son sentiment de sa dignité poétique, à la fois si modeste et si fier, je voudrais inscrire sur son monument ces vers qu’il a composés pour le tombeau d’un ami :


C’était un diamant. La perle la plus rare
Se dissout dans l’acide et finit lentement.
L’acier lance en éclats le marbre de Carrare.
Rien n’entamait son cœur. C’était un diamant.


Tous ceux qui connaissaient Brizeux ont pleuré en lui plus que le poète. La Bretagne a bien senti la perte qu’elle vient de faire. Parmi tant de pièces de vers inspirées par la mort du barde, qu’on me permette d’en citer au moins une ; elle est écrite dans sa langue natale, et on y entend comme un gémissement de ces bruyères au milieu,