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tout ce qu’il y aurait mis de finesse, d’élévation morale, de délicates études psychologiques. Je trouve dans ses papiers des notes très curieuses, très nombreuses, pour un roman intitulé Valentin, qui aurait été le résumé de son expérience et de sa philosophie. Les vers du Livre des Conseils, où il recommande si bien l’harmonie de nos facultés, l’alliance des contraires, l’équilibre en toute chose, car la vie est un art, eussent servi d’épigraphe à cette histoire. « Je veux, dit-il, conduire mon héros jusqu’à cet état de sérénité et de force où l’âme est suî compos. Il n’y arrivera qu’après de dures épreuves. Avant qu’il se résigne en sage, on entendra ses cris… Que ce soit un livre fortifiant et sain, le contraire de René, d’Adolphe, etc., sans que cette prétention soit affichée. Suî compos, voilà le but de ce livre. » Au milieu des détails, des indications de caractères, il y a çà et là des jugemens très fins sur les principaux romans psychologiques de notre siècle. Citons encore une ligne qui explique l’intérêt de ces notes : « Il faut que cette étude contienne mon esthétique, ma philosophie, ma politique, ma religion. » La pensée première de ce roman avait tant de prix pour Brizeux, que je la retrouve sous la forme d’une comédie intitulée l’Équilibre. Le plan est fait, les actes et les scènes sont distribués ; chaque personnage est annoncé avec les nuances de son caractère : il s’agit de corriger (Brizeux souligne le mot en souriant), il s’agit de corriger, ni plus ni moins, le Misanthrope de Molière. Entre Alceste et Philinte, il faudrait un Ariste, c’est-à-dire Molière lui-même, et Molière fa oublié. Brizeux réparera l’omission. Il met en scène une âme franche, impétueuse, dont l’âpreté a besoin d’être contenue par la science de la vie ; en face de ce nouvel Alceste, il place trois ou quatre Philintes (la race a pullulé), une véritable légion de complaisans qui excusent tout, parce qu’ils ne croient à rien. Voilà bien des occasions d’emportemens pour l’Alceste du XIXe siècle ; où est Ariste pour régler cette passion qui s’égare ? Ariste est représenté par une femme. Cette harmonie que cherche le poète, cette mesure dans l’ardeur généreuse et la patience, cette science de la vie enfin, c’est une mère qui est chargée de l’enseigner à l’homme.

Je ne rendrai pas à Brizeux le mauvais service de louer des œuvres qui n’existent qu’en projet ; en telle matière, l’exécution est tout. Je signale seulement ces ébauches de romans, de comédies (il y en a d’autres encore), afin de marquer avec plus de précision la physionomie de l’écrivain. Pourquoi ne les a-t-il pas terminées ? Parce que la poésie pure le rappelait toujours. Lévite consacré à l’art des vers, il se laissait entraîner à sa fougue, à fabondance de ses idées, il jetait sur le papier maintes ébauches, puis, au moment de commencer sa comédie ou son roman : « Non, disait-il, je resterai fidèle à l’unité de ma vie, à l’harmonie de mon œuvre. » Sur ce ter-