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rebattu naguère et si froidement accueilli, si discrédité comme topic oratoire, passionne aujourd’hui tous les esprits ? Ce phénomène s’explique aisément. Le sort de l’Oude, c’est la destinée d’un cabinet. Lord Canning, le gouverneur-général, c’est le ministère Palmerston, brisé naguère sur un récif à fleur d’eau. Le blâme infligé à lord Canning par un membre de l’administration tory, c’est le terrain sur lequel on veut la faire combattre, la désarmer, la tuer. Vous comprenez maintenant d’où vient ce chaleureux intérêt porté aux dépêches datées de Calcutta. Calcutta, c’est Londres, puisqu’on y fait et défait les ministres. Rome n’est plus dans Rome, elle est au Bengale.

Au fond, de quoi s’agit-il, et à travers tout ce bruit parviendrons-nous à le savoir ? En deux mots, voici le fait. Lord Canning, pour aider autant qu’il est en lui aux efforts de sir Colin Campbell et de sir James Outram, a lancé une proclamation aux habitans de l’Oude. Voulant être compris d’eux, il leur a parlé leur langue. Ignorant que son œuvre officielle, adressée au cabinet whig, aurait à obtenir l’approbation de ses ennemis politiques, devenus, sans qu’il le sût encore, maîtres de l’administration, il a oublié précisément les scrupules libéraux, les exigences constitutionnelles du torysme au pouvoir. Il a parlé en souverain d’Orient. Il a revendiqué, au profit de l’Angleterre, les droits absolus que naguère le Grand-Mogol exerçait sans contrôle. Dans l’Inde, comme jadis en Europe, la terre est au roi, qui la donne ou la reprend à son gré. L’impôt n’est pas autre chose que le loyer de cette terre donnée à bail. Partant de là, — tout autre principe étant incompréhensible pour le peuple qui l’écoute, — que dit lord Canning dans cette fameuse proclamation du 14 mars, inspirée par le sentiment du triomphe obtenu à Lucknow ? « L’empire nous est rendu sur cette partie du pays. Le temps est venu de récompenser et de punir. Des grands propriétaires du sol, il en est six (et il les nomme)[1] qui se sont distingués par leur fidélité au gouvernement anglais. Ceux-là, sans préjudice des récompenses qui leur seront plus tard décernées, restent seuls propriétaires héréditaires des biens qu’ils possédaient dans l’Oude quand ce royaume a été annexé au domaine britannique. À part ces exceptions le droit de propriété sur le sol de ces provinces est confisqué au profit du gouvernement anglais, qui disposera de ce droit comme il le jugera convenable. » Lord Canning propose ensuite à ceux des propriétaires révoltés qui feront immédiatement leur soumission l’honneur et la vie saufs, pourvu qu’ils n’aient pas trempé dans un meurtre proprement dit pratiqué sur un sujet anglais. « En ce qui touche, ajoute-t-il,

  1. Les rajahs de Bulrampore, Padnaha et Kultiarie, le taloukdar de Sissaindie, les zemindars de Gopaul, de Kheir, et de Moraon.