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ques années, et on ne cesse d’applaudir les mélodies touchantes de Richard Cœur de Lion, la grâce et la gaieté de l’Épreuve villageoise et du Tableau parlant, de Grétry. C’est qu’après tout il n’y a que le génie ou le sentiment qui intéressent la postérité, tandis que l’esprit et le talent ne dépassent guère les limites du siècle ou du pays où ils se sont produits. Le nom de Philidor restera pourtant dans l’histoire de l’art français comme l’un des fondateurs d’un genre de plaisir tout aimable et éminemment national, l’opéra-comique.

Le dernier rejeton de cette famille d’artistes, Alphonse Philidor, était l’arrière-petit-neveu du célèbre compositeur, dont les enfans avaient suivi une tout autre carrière. Il naquit à Paris vers 1816. Son père, employé à la préfecture de la Seine, mourut, aveugle comme son grand-oncle, il y a quelques années. Alphonse entra de très bonne heure au Conservatoire de Paris. Il s’y fit bientôt remarquer par son aptitude et sa docilité, et, après quelques années d’études, il remporta un premier prix de solfège. Admis dans la classe de Baillot, homme excellent, artiste du plus grand mérite, qui a formé cette admirable école de violonistes dont l’Europe ne conteste pas la supériorité, Philidor ne fut pas indigne des conseils d’un si grand maître, puisqu’il obtint une mention honorable au concours où le célèbre Artot, mort depuis en Amérique, sortit vainqueur de ses nombreux rivaux. Philidor, qui avait besoin de gagner promptement de quoi se suffire, ne persévéra pas davantage et se jeta résolument dans le courant de la vie parisienne. Il entra d’abord comme simple violon dans un de ces orchestres de petit théâtre, pépinières de musiciens et d’instrumentistes d’où sortent souvent des talens de premier ordre. Quel est le virtuose célèbre qui n’a pas fait l’apprentissage de la vie et de son art dans l’un de ces corps francs qui se tiennent au bas de la rampe de l’une des innombrables salles de spectacle qui remplissent Paris, les barrières et la banlieue? On formerait des orchestres excellens pour le monde entier, si l’on réunissait tous ces intrépides instrumentistes qui, pour trente ou quarante sous, vont chaque soir faire danser les hommes ou les chevaux, et qui, depuis le Théâtre-Français jusqu’aux scènes des Funambules ou du Luxembourg, remplissent les entr’actes de quelque joyeuse contredanse. On les voit pendant la durée de la pièce lire des journaux, un roman, des brochures, tout en dévorant un petit pain, qui ne les empêche ni de dormir ni de rêver à la gloire. Philidor fit largement l’expérience de cette vie de joyeuse misère. Il s’éleva même jusqu’au rang de chef d’orchestre d’un petit théâtre, où il acquit l’habitude de conduire ses confrères et d’accompagner les chanteurs. C’est là, je crois bien, qu’il fut remarqué par un homme intelligent, M. Colleuil, alors directeur de la troupe de comédiens et de chanteurs qui desservait les villes d’Orléans, de Blois et de Tours. Après quelques années d’une existence vagabonde, mais laborieuse, pendant lesquelles Philidor donna des preuves de talent tant comme violoniste que comme chef d’orchestre, le hasard le conduisit à Vendôme, qui faisait partie de la circonscription théâtrale de M. Colleuil. Il se fit entendre dans deux représentations publiques, où il exécuta pendant l’entr’acte le cinquième air varié de M. de Beriot. Son jeu facile, brillant, plein d’élégance et d’une irréprochable justesse, fut vivement apprécié par le public. On fit