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salles du Secunder-Bagh. Jamais les atrocités de Cawnpore n’avaient été mieux vengées. Il fallut ensuite emporter une mosquée, la Shah-Nujjif, à laquelle l’assaut ne put être donné qu’après une canonnade de trois heures : ce fut la seconde journée. La garnison de son côté s’avançait à la rencontre de l’armée de secours, et les chefs se rejoignirent enfin le troisième jour sous les murailles de la Mess-House, le dernier point dont les cipayes eussent essayé de disputer la possession[1]. Sir Colin Campbell arrivait dans tout l’enthousiasme de la victoire. Havelock se mourait déjà.

Lucknow n’était pas repris cependant. Y rester avec six ou sept mille hommes était une entreprise chimérique ; dès lors il n’y avait pas une minute à perdre pour en sortir avec la moindre perte possible. Le plan de sir Colin Campbell était fait d’avance. Les rebelles purent croire, le voyant continuer son feu contre les bâtimens voisins de la Mess-House, qu’il voulait les déloger de toutes leurs positions autour de la résidence. Il ne songeait qu’à en tirer sains et saufs les quinze cents malheureux dont elle était le refuge depuis près de six mois.

Les prisonniers d’état, les femmes et les enfans, enfin le trésor, devaient partir les premiers. Une longue chaîne de piquets était établie de manière à protéger leur marche jusqu’à La Martinière. Les combattans restaient à leurs postes, chargés de détruire peu à peu tout ce que la résidence renfermait d’engins ou d’approvisionnemens militaires hors d’état d’être transportés. Ce fut à quatre heures du matin, le 18 novembre, que le précieux convoi se mit en marche. Mistress Inglis, la femme du commandant de Lucknow, a décrit avec une incomparable naïveté les émotions de ce qu’elle appelle un « exode. » Elle raconte comment John (son mari), n’ayant pu l’escorter en personne, lui donna pour l’accompagner son aide-de-camp, a very nice créature, dit-elle en propres termes. Et devant ces familiarités de style nous serions tentés de sourire si nous ne savions, à n’en pas douter, que cette noble femme avait donné, pendant toute la durée du siège, les plus beaux exemples d’abnégation et de dévouement. Ce matin-là même, refusant le palanquin préparé pour elle, mistress Inglis avait voulu faire route à pied comme toutes ses compagnes d’infortune. Or, parlant de ceci, elle dit simplement : « Il fallut marcher, n’ayant plus d’attelage pour la voiture. » N’y a-t-il pas dans cette réticence une exquise délicatesse ? « Nous ne courûmes aucun danger, continue-t-elle, sauf en trois endroits où l’ennemi nous dominait, et où il fallut prendre le pas de course. » À Secunder-Bagh, les dames trouvèrent des palanquins préparés

  1. Les pertes de sir Colin. Campbell dans ces trois journées furent de quatre cent soixante-sept tués ou blesses, dont dix officiers tués et trente-trois blessés.