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elle eût dépassé la ligne de l’Eider, elle eût rencontré, pour lui barrer, le passage et la refouler en arrière, trois peuples au lieu d’un, trois peuples pour qui la rive droite ou septentrionale de l’Eider est déjà le sol sacré. En parlant une fois déjà dans la Revue des périls du Danemark[1] il y a plus d’un an, nous terminions notre étude par quelques citations des pamphlets allemands, qui dès lors, au nom du dieu allemand, entonnaient la trompette de guerre. Nous pouvons raconter aujourd’hui quels échos ces récentes menaces ont rencontrés au-delà du Sund. Lors du dernier anniversaire de la constitution norvégienne à Christiania, M. Berg a porté un toast au Danemark en disant aux grands applaudissemens d’une assemblée frémissante : « Malheur à l’Allemagne! Elle ne voit pas que celui qu’elle attaque a autour des reins une ceinture qui lui inspire un courage et lui communique une force indomptable; elle ne voit pas que le Danemark a une nationalité! Parce qu’elle porte un riche manteau à dix couleurs, elle s’enorgueillit et dédaigne à tort le vêtement de son adversaire; il est d’une seule teinte, mais c’est une sombre et forte armure. Contre l’hydre allemande, le Danemark n’est pas seul; nous ne sommes pas étrangers dans cette lutte; c’est nous, c’est tout le Nord qu’elle engage, si la sentinelle qui veille sur la frontière méridionale de la Scandinavie est menacée. La cause du Danemark est la nôtre par les liens d’une origine commune, par ceux de nos engagemens, par ceux de nos souvenirs, par ceux du sang déjà versé pour elle. Nous ne la trahirons pas! » On sait qu’en Suède comme en Norvège des réunions ont été convoquées pour promettre, au nom du patriotisme scandinave, un prompt secours en cas d’attaque. Voilà ce qu’on peut appeler du scandinavisme pratique ! En 1849, Suède et Norvège ont envoyé un corps d’armée au secours du Danemark; on peut bien compter qu’il en serait de même cette fois encore. Néanmoins cette barrière-là n’est pas vraiment solide qui s’élève seulement aux jours de crises violentes, et qui, n’arrêtant que l’effort de la guerre déclarée et ouverte, laisse passer une diplomatie perfidement habile, armée de tout l’ascendant d’une confédération nombreuse et puissante contre un petit peuple de deux millions et demi de citoyens. Que sert-il de repousser les assauts, si l’on est obligé de laisser l’ennemi continuer son œuvre par la mine et la sape? La seule alliance vraiment utile serait celle qui, rapprochant le Slesvig, soumis aux mêmes institutions ou à peu près que le reste du royaume, détachant le plus complètement possible les états du roi de Danemark des possessions allemandes du roi-duc de Holstein et de Lauenbourg, identifierait le Danemark aussi inti-

  1. Voyez le Scandinavisme et le Danemark, 1er mai 1857.