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la suite des prédications de Jean Hauge parmi les pauvres populations de la Norvège, et l’enquête qui fut ouverte au sujet de ces troubles dans tout le pays en a conservé de déplorables traces. Dans un domaine voisin de Throndhiem, trois frères s’étaient livrés avec passion à la lecture des livres de Hauge. Voulant se conformer à la parole du maître, qui recommandait les macérations comme moyens d’exorcisme, les deux plus jeunes pressèrent leur aîné de les assister afin de chasser le démon, qui sans doute veillait en eux. L’aîné y consentit, et se mit en devoir d’enlever à l’un des deux avec ses dents une partie du nez et des lèvres, sans que celui-ci cherchât à fuir un tel supplice; l’autre étendit son bras nu sur un fourneau ardent, et l’y laissa jusqu’à ce qu’il fût grillé, son frère aîné l’encourageant et lui répétant qu’il valait mieux être brûlé dans ce monde que dans l’autre. Et quand on fit à celui-ci des reproches sur sa conduite absurde et dénaturée, il déclara que cela lui avait bien causé quelque peine, mais qu’il fallait qu’il en fût ainsi. — Ailleurs c’est un père même qui, pour délivrer son enfant au berceau de la présence du malin, l’exorcise suivant les conseils donnés par Hauge, et de telle façon qu’il l’étouffe. — Ajoutez la manie bientôt contagieuse des prophéties et des prédications se manifestant chez les premiers venus et devenant pour eux une sorte de tâche régulière comme la lecture et l’explication de la Bible. Enfin toute cette agitation avait pour dernier résultat la haine et les imprécations contre le clergé officiel, contre les prières établies, contre les cérémonies du culte, contre les temples mêmes, qu’il fallait renverser et raser.

Assurément la parole de Hauge, après avoir suscité un réveil religieux, dépassait le but, et semait à son insu les germes d’un trouble social qui pouvait, en dégénérant, enfanter une redoutable jacquerie. L’église officielle s’efforça en toute hâte d’arrêter un mal qui la menaçait la première. On alla rechercher une vieille loi de 1741 contre les réunions religieuses non autorisées et contre les usurpations des laïques dans le domaine des choses religieuses : au nom de cette loi, Hauge fut condamné à dix années d’emprisonnement et à une forte amende. L’intervention du bras séculier apaisa-t-elle le tumulte? Des campagnes elle le fit au contraire pénétrer dans les villes, des classes inférieures de la population dans les classes les plus élevées de la société. On se demanda si l’église n’avait pas d’autres armes pour se défendre, s’il était bon que les deux pouvoirs, ecclésiastique et laïque, fussent de la sorte et si dangereusement confondus; on conçut même des doutes sur la légitimité des peines : de quel droit l’église luthérienne, qui ne se donnait pas comme instituée de Dieu, prétendait-elle s’interdire la libre recherche en matière de religion? Cette libre recherche n’était-elle pas le prin-