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commander le pont des Char-Bagh[1], où l’ennemi avait laissé, embusqués derrière les murs de clôture, bon nombre de sharpshoolers. Il fallut déloger ces francs tireurs et prendre les pièces qu’ils défendaient. Le général Outram reçut une balle dans le bras ; mais, tout affaibli qu’il fût par la perte de son sang, il ne descendit pas de son cheval. On traversa le pont, on avança toujours sous le feu d’un ennemi invisible. On était maintenant sur la route qui mène directement à la résidence, et à deux milles environ de ses portes, en suivant la route de Cawnpore ; mais prendre ce chemin, c’était (les renseignemens reçus en faisaient foi) s’exposer aux chances les plus hasardeuses : partout des palissades, des fossés profonds et larges, et, parmi les maisons qui bordaient la route, une sur deux était garnie de cipayes. Comme alternative, on avait après cela le grand détour que devait suivre quelques mois plus tard sir Colin Campbell. Il fallait alors s’écarter à l’est de la ville et revenir vers le nord en passant par ce parc immense (Dilkousha) au sortir duquel, dans cette direction, se trouvent les bâtimens du collège La Martinière, le Secunder-Bagh et le Motie-Mahal ; mais après d’aussi fortes pluies ce chemin à travers champs n’était praticable ni pour les canons ni pour les wagons de munitions. Restait, à droite, une route étroite, presque une ruelle, longeant le canal sur lequel est jeté le pont des Char-Bagh. Là effectivement on ne trouva aucun préparatif de résistance jusqu’au moment où, quelques heures plus tard, on parvint sous les murs du Kayserbagh. Il fallut de toute nécessité y faire halte. On venait d’apprendre que les highlanders, laissés sur le pont des Char-Bagh pour protéger le passage de la grosse artillerie restée à l’arrière-garde, à peine séparés du reste de la colonne, avaient été aux prises avec des masses de cipayes, et se trouvaient fort compromis. Il fallait avant tout les dégager. On leur envoya des canons qui les rencontrèrent à mi-chemin du pont et de la colonne, avançant lentement, au pas des bœufs qui traînaient le convoi, et assaillis à chaque minute par des essaims d’insurgés. Quelques coups à mitraille dispersèrent ces incommodes compagnons, et la colonne se trouva de nouveau réunie en face du palais du roi. Là, le feu des insurgés était formidable. « On n’y pouvait vivre, » a écrit Havelock dans une de ses dépêches. Or il n’y savait qu’un remède, c’était de donner tête baissée sur les batteries et de les enlever à la baïonnette. Ainsi fit-on deux fois encore avant de se trouver à peu près à l’abri sous les murs du palais Feradbouksh, situé au nord de la ville, sur les bords de la Goumti, et séparé par un seul autre palais (Tarie-Kothie) de la résidence elle-même.

  1. Char-Bagh, Quatre-Jardins.