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talèrent avec des nœuds d’épaule aussi grands et aussi pimpans que personne. » D’autres interprétations admirent les galons d’or, et un codicille ajouté autorisa les doublures de satin couleur de flamme.

Malheureusement, « l’hiver suivant, un comédien, payé par la corporation des passementiers, joua son rôle dans une comédie nouvelle tout couvert de franges d’argent, et, suivant une louable coutume, les mit par là même à la mode. Là-dessus, les frères, consultant le testament de leur père, trouvèrent, à leur grand étonnement, ces paroles : « Item, j’enjoins et ordonne à mesdits trois fils de ne porter aucune espèce de frange d’argent autour de leurs susdits habits. — Cependant après une pause le frère, si souvent mentionné pour son érudition et très versé dans la critique, déclara avoir trouvé, dans un certain auteur qu’il ne nommerait pas, que le mot frange écrit dans ce testament signifie aussi manche à balai, et devait indubitablement avoir ce sens dans le paragraphe. Un des frères ne goûta pas cela à cause de cette épithète d’argent, qui, dans son humble opinion, ne pouvait pas, du moins en langage ordinaire, être raisonnablement appliquée à un manche à balai; mais on lui répliqua que cette épithète devait être prise dans le sens mythologique et allégorique. Néanmoins il fit encore cette objection : pourquoi leur père leur aurait-il défendu de porter un manche à balai sur leurs habits, avertissement qui ne semblait pas naturel ni convenable? sur quoi il fut arrêté court, comme parlant irrévérencieusement d’un mystère, lequel certainement était très utile et plein de sens, mais ne devait pas être trop curieusement sondé ni soumis à un raisonnement trop minutieux. » A la fin, le frère scolastique s’enfuie de chercher des distinctions, met le vieux testament dans une boîte bien fermée, invente par tradition les modes qui lui conviennent, puis, ayant attrapé un héritage, se fait appeler Mgr Pierre. Ses frères, traités en valets, finissent par s’enfuir; ils rouvrent le testament, et recommencent à comprendre la volonté de leur père; Martin, l’anglican, pour réduire son habit à la simplicité primitive, décout point par point les galons ajoutés dans les temps d’erreur, et garde même quelques broderies par bon sens, plutôt que de déchirer l’étoffe. Jacques, le puritain, arrache tout par enthousiasme, et se trouve en loques, envieux de plus contre Martin, et à moitié fou. Il entre alors dans la secte des éolistes ou inspirés, admirateurs du vent, lesquels prétendent que l’esprit, ou souffle ou vent, est céleste, et contient toute science.


« Car d’abord il est généralement reconnu que la science enfle les hommes, et de plus ils prouvaient leur opinion par le syllogisme suivant : les mots ne sont que du vent, et la science n’est que des mots; ergo la science n’est que du vent. Or ce vent ne devait point être gardé sous le boisseau, mais libre-