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vourées avec cette insouciance, les fonctions corporelles deviennent poétiques. Quand les tonneaux se vident dans son gosier et que les viandes s’engloutissent dans son estomac, l’on prend par sympathie part à tant de bien-être; dans les ballottemens de ce ventre colossal et dans le rire de cette bouche homérique, on aperçoit comme à travers une fumée les souvenirs des religions bachiques, la fécondité, la joie monstrueuse de la nature; ce sont les magnificences et les dévergondages de ses premiers enfantemens. Au contraire, le cruel esprit positif ne s’attache qu’aux bassesses; il ne veut voir que l’envers des choses; armé de douleur et d’audace, il n’épargne aucun détail ignoble, aucun mot cru. Il entre dans le cabinet de toilette[1], il conte les désenchantemens de l’amour[2], il se déshonore par un mélange de pharmacie et de médecine[3], il décrit le fard et le reste[4]. Il va se promener le soir le long des murs solitaires[5], et dans ces lamentables recherches il a toujours le microscope en main. Jugez de ce qu’il voit et de ce qu’il souffre; c’est là sa beauté idéale et sa conversation badine, et vous devinez qu’il aura pour philosophie comme pour poésie et pour politique l’exécration et le dégoût.


IV. — LE CONTEUR ET LE PHILOSOPHE.

Ce fut chez sir William Temple qu’il écrivit le Conte du Tonneau, au milieu de toute sorte de lectures, comme un abrégé de la vérité et de la science. C’est pourquoi ce conte est la satire de toute science et de toute vérité.

De la religion d’abord. Il semble y défendre l’église d’Angleterre; mais quelle église et quel symbole ne sont pas enveloppés dans son attaque? Pour égayer son sujet, il le profane et réduit les questions de dogmes à une question d’habits. Un père avait trois fils, Pierre, Martin et Jacques; il leur légua en mourant à chacun un habit[6], les avertissant de le tenir propre et de le brosser souvent. Les trois fils obéirent quelque temps et voyagèrent honnêtement, tuant « un nombre raisonnable de géans et de dragons[7]. » Malheureusement, étant venus à la ville, ils en prirent les mœurs, devinrent amoureux de plusieurs grandes dames à la mode, la duchesse of

  1. The lady’s dressing-room.
  2. Sterphon and Chloe.
  3. A Love, poem from a Physician.
  4. The Progress of Beauty.
  5. The Problem. Lire surtout Examination of certain abuses.
  6. La vérité chrétienne.
  7. Persécutions et combats de l’église primitive.