Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une pluie diluvienne. À peine avait-on fait une demi-lieue, que les boulets des insurgés arrivaient aux premiers rangs. On avait cette fois de quoi leur répondre. Les batteries ennemies furent réduites au silence ; la cavalerie et les canons que les rebelles avaient jetés sur les flancs de la colonne furent obligés de se retirer sans avoir achevé leur mouvement. Enfin, se voyant tournés par l’infanterie anglaise, qui s’avançait sur leur droite, les ennemis réattelèrent leurs pièces, dont deux cependant furent abandonnées, et quittèrent précipitamment leur position. Ce mouvement avait été prévu et devancé : sir James Outram, à la tête d’un petit corps de cavalerie volontaire auquel il avait mêlé quelques irréguliers à cheval, les attendait dans la plaine, où ils eurent une centaine d’hommes sabrés et laissèrent encore deux canons. Ce combat, dit de Mungarwar, eut pour effet d’ouvrir la route jusque dans le voisinage de Lucknow. L’ennemi, cherchant une position plus forte encore que celle d’où il venait d’être délogé, ne la trouva qu’à l’Alumbagh.

L’Alumbagh (jardin de la dame Alum)[1] est un édifice comprenant plusieurs corps de bâtimens, mosquées, imanbaragh, puits couverts, etc., situé au sud et un peu en avant de Lucknow, sur la route de Cawnpore, au milieu d’un beau jardin qu’entoure un parc admirable. L’armée anglaise, qui avait fait vingt milles dans la journée même du 21 septembre après le combat de Mungarwar, quatorze dans la journée suivante, et qui, toujours sous la pluie, avait passé deux nuits dans de misérables villages abandonnés par les habitans, n’arriva que le 23, dans l’après-midi, à l’Alumbagh. L’armée ennemie était en bataille sur les hauteurs voisines, sa droite masquée en partie par ces hauteurs, sa gauche appuyée aux murs de clôture du parc. Ayant appris à leurs dépens la tactique familière de Havelock, ceux qui commandaient cette armée avaient tout fait pour qu’il ne pût pas la tourner par un mouvement de flanc. La route que suivait la colonne avait été ouverte à travers des marécages réputés infranchissables, qui la bordaient encore à droite et à gauche. Là où ils cessaient et où le sol s’élevant permettait de prendre pied, les bataillons ennemis étaient massés avec leur nombreuse artillerie, et leurs cavaliers dispersés au centre et sur les ailes. Sur la route même convergeait le feu de leurs batteries. Havelock vit qu’il n’y avait pas un moment à perdre. Les boulets ennemis décimaient déjà ses soldats, massés trop près les uns des autres. Il donna l’ordre d’attaquer, et sous une pluie de fer, sous celle aussi que comme les jours précédens leur envoyaient les nuages, ces intrépides soldats, qui avaient déjà marché sept heures, se jetèrent sur la droite de l’en-

  1. Alum veut dire Beauté-du-Monde.