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Le chef réel de la grande armée de la confédération, Seda-Sheo, et son neveu Viçwanâth-Rao avaient péri tous les deux. Le premier n’avait pas plus de trente-cinq ans; le second en comptait dix-huit à peine[1]. Djessaunt-Rao, de la race de Porus, petit prince du Gouzerate, était parmi les morts, ainsi que le fils de Pilla-Dji-Djadou, râdja de la même province, qui descendait, de la famille de Krichna. Le vieux Holkar, le premier de sa race, avait échappé au carnage, mais toutes ses possessions lui étaient enlevées. On assure qu’au moment du combat, Seda-Sheo, irrité de ses observations, lui avait répondu, en faisant allusion à son premier métier : Quels conseils peut-on attendre d’un gardeur de chèvres! — Holkar, blessé de ces injurieuses paroles, aurait été plus prompt que ses compagnons d’armes à tourner le dos, lorsque l’éléphant du chef de la confédération parut s’affaisser dans la mêlée. La réponse que l’on prête à Seda-Sheo peut être vraie, mais il n’est pas vraisemblable que Holkar, le plus solide des chefs mahrattes, le doyen de ces guerriers élevés à la puissance par les peshwas, ait donné le signal de la défection. La famille Sindyah comptait deux de ses représentans à cette fatale journée, Djounka-Dji, le petit-fils de Rano-Dji, chef de

  1. Voici comment Kasi-Râdja-Pandite raconte ce qui se passa au sujet du corps de Seda-Sheo : « Le second jour, après qu’on eut recherché avec beaucoup d’attention le corps du bhow (on désignait ainsi Seda-Sheo), avis fut donné qu’on avait trouvé à quinze milles du champ de bataille un cadavre qui paraissait être celui de ce chef. Shoudja-oul-Dowlah accourut sur les lieux, et fit laver ce corps, près duquel on avait trouvé des perles d’une valeur assez considérable, ce qui nous confirma dans la pensée que ce cadavre était celui d’un personnage de rang. Ces perles furent remises à Sinadour-Pandite, envoyé mahratte, qui fondit en larmes et déclara que c’était bien là le corps du bhow. Il fut reconnu encore à d’autres marques naturelles que l’on savait exister sur la personne de ce chef : 1° une marque noire de la largeur d’une roupie sur l’une des cuisses, 2° une cicatrice dans le dos,... 3° sous la plante du pied, la figure du lotus, considérée par les astrologues comme un heureux augure. Ce corps était celui d’un homme d’environ trente-cinq ans, fortement constitué. Comme l’on savait que le bhow faisait chaque jour douze cents prostrations devant le soleil, on retrouva aussi les marques de cette pratique religieuse sur les genoux et les mains de ce corps. » Que de minutieuses recherches pour reconnaître parmi les morts celui qui, vivant, se distinguait entre cent cinquante mille combattans ! Par égard pour son rang, on rapporta le cadavre sur un éléphant. Plus tard, en 1779, un faux Seda-Sheo parut à Benarès. Il essaya de se faire passer pour celui qui avait péri dans la bataille de Paniput, et il obtint d’abord quelque crédit; mais son imposture fut à la fin reconnue, et il périt misérablement.