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avait été tué. Redoutant le ressentiment des chefs de ces deux grandes familles, Nadjib-Khan agit auprès des Rohillas et des Afghans pour leur persuader de se liguer contre les Hindous. Ces divers peuples musulmans étant les ennemis naturels de la confédération des Mahrattes, on ne pouvait faire un reproche à Seda-Sheo de n’avoir pas su les attirer à son parti ; mais il y avait un allié puissant sur le dévouement duquel il devait compter, et qu’il eut la folie de s’aliéner par ses dédains.

Souradj-Mal, de la race des Djâts[1], râdja de la ville de Bharatpour dans le Malwa, invité à une conférence, avait répondu que son habitude était d’entrer en négociations directement avec Holkar et Sindyah. Bien que choqué de ces paroles, Seda-Sheo avait consenti à ce que le râdja de Bharatpour fût introduit près de sa personne par les deux chefs dont la renommée lui portait ombrage. Lorsque l’armée mahratte s’approcha d’Agra, Souradj-Mal vint donc présenter ses hommages à l’orgueilleux Seda-Sheo, et, lui parlant avec une noble franchise, il chercha à l’éclairer sur les dangers d’une campagne si lointaine entreprise avec tant de lourds bagages. Il lui conseilla de laisser dans la citadelle de Gwalior, ou dans les autres places fortes de sa principauté de Bharatpour, tout ce qui pouvait entraver sa marche et rendre ses mouvemens moins rapides. N’était-il pas à craindre d’ailleurs que, dans un pays depuis longtemps ravagé par la guerre, il ne devînt impossible de nourrir les bouches inutiles qui dévoraient chaque jour une partie des vivres destinés aux combattans ? Molhar-Rao-Holkar appuyait fortement ces avis ; il insistait sur ce que les Mahrattes avaient coutume de faire une guerre de partisans, et non de marcher avec toute la pompe d’un camp royal. Rien cependant ne put vaincre l’obstination de Seda-Sheo. Il prétendait qu’il y aurait de la honte pour lui à ne pas frapper un grand coup avec toute son armée, quand les autres chefs, ses inférieurs, avaient remporté des victoires signalées dans ces mêmes pays. Se tournant vers Molhar-Rao-Holkar, alors âgé de soixante-huit ans : « Vous n’avez plus, lui dit-il, votre activité et votre intelligence d’autrefois ! — Puis, parlant de Souradj-Mal : Cet homme n’est qu’un zemindar ! s’écria-t-il ; il a émis une opinion digne de son rang, mais que ne peuvent approuver ceux qui commandent à des nations. »

Ces paroles blessantes affligèrent tous les vieux chefs, tous les zemindars de renom qui formaient le conseil du camp. On les entendit qui se disaient les uns aux autres : « Mieux vaut que ce brah- -

  1. Les Djàts, nommés Zats par les écrivains musulmans, s’établirent dans le Doab vers 1700. Venus des bords de l’Indus dans le Moultan, ils finirent par se fixer dans la province d’Agra, dont Bharatpour fait partie. Souradj-Mal avait accompagné Holkar et Djaï-Pat-Sindyah dans leur expédition contre les Rohillas.