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À cette époque, les peuples de l’Inde, hindous et musulmans, avaient fait de grands progrès dans l’art de la guerre. L’artillerie jouait un rôle important dans les sièges et aussi dans les batailles rangées. Lorsque le peshwa Badji-Rao voulut attaquer Nasir-Djang, second fils de Nizam-oul-Moulouk, en l’absence de son père, ce prince put opposer aux Mahrattes plus de cent pièces de canons et deux cents pierriers portés sur des chameaux. Cependant les batailles rangées étaient encore rares; le plus souvent la guerre ne consistait qu’en une série d’incursions sur le territoire ennemi. Aussi durant plusieurs mois les troupes du Nizam et les soldats du peshwa se livrèrent des combats qui n’amenaient aucun résultat décisif. A la fin, satisfait d’avoir pu rejeter Nasir-Djang au-delà du Godavery, le peshwa fit la paix. Quelques mois plus tard, comme il allait ouvrir une nouvelle campagne dans l’Hindostan, Badji-Rao mourut; il avait exercé l’autorité suprême durant vingt années, de 1720 à 1740. Le souverain légitime, Sahou-Râdja, qui vivait toujours dans sa prison dorée, conféra l’investiture à Balla-Dji-Rao[1], fils du peshwa défunt. C’était la troisième fois que ce monarque imbécile consacrait aux yeux de la nation sa propre incapacité. Cependant la puissance des Mahrattes ne cessait de s’accroître. Molhar-Rao-Holkar et Rano-Dji-Sindyah, revêtus de pouvoirs extraordinaires qui les rendaient égaux à des vice-rois, recueillaient le tribut dans les provinces du nord. L’empire mogol au contraire semblait en proie à la dissolution, surtout depuis que Nadir-Shah avait pillé Dehli. Le nouveau peshwa, Balla-Dji-Rao, sut profiter habilement de la circonstance pour se faire conférer par l’empereur Mohammed-Shah, revenu dans sa capitale, le titre de soubahdar ou vice-roi du Malwa, qui appartenait au Nizam-oul-Moulouk. C’était se reconnaître vassal de la cour de Dehli[2]; mais aussi c’était acquérir le droit de s’immiscer dans les affaires de l’empire, et le faible Mohammed abdiquait une partie de sa propre autorité, en cédant aux instances réitérées de l’ambitieux peshwa. Ce dernier alla plus loin encore : il réclama le paiement de sommes promises à son père pour l’indemniser des secours qui devaient être envoyés au sultan lors de l’invasion de Nadir-Shah, et qui n’avaient jamais été expédiés. Le sultan accorda tout, même la permission, humblement demandée par le rusé Mahratte, de placer près de son auguste personne un corps de cinq cents cavaliers commandés par un chef de distinction. De son côté, le peshwa jurait de

  1. On le désignait généralement par le titre, devenu depuis si célèbre, de nana-sahib.
  2. Après le départ de Nadir-Shah, le peshwa Badji-Rao avait adressé à l’empereur une lettre de soumission et d’obéissance, avec un présent de cent et une pièces d’or. (History of the Mahrattas, etc.) Ainsi le peshwa reconnaissait toujours en principe la suzeraineté de l’empereur dont il usurpait les provinces, quitte à en obtenir plus tard l’investiture officielle.