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oul-Moulouk, injustement dépouillé par l’empereur, que les Mahrattes pénétraient dans le Gouzerate. Plus occupés de leurs intérêts propres que de ceux de leurs alliés, ils gardèrent pour eux les terres conquises par leurs armes. Il s’agissait cette fois d’envahir un pays difficile à occuper dans son entier. Bordé au nord et à l’est par des montagnes escarpées, inaccessibles à la cavalerie, et qui étendent leurs ramifications en tout sens, le Gouzerate déploie le long du golfe de Cambay de magnifiques plaines extrêmement fertiles. Ce plat pays n’a pas plus de vingt lieues de large sur cinquante de long, et la partie intermédiaire entre la région montagneuse et les districts régulièrement cultivés est coupée par une infinité de rivières qui roulent au milieu des jungles dans des ravins profonds. Les Mahrattes, après avoir franchi les montagnes, s’abattirent sur les plaines, objet de leur convoitise, et les rançonnèrent, laissant les tribus sauvages se disperser dans les forêts et errer librement à travers les rochers, parmi les ours, les tigres et les buffles[1].

A la tête du corps d’armée qui agissait si vigoureusement dans les provinces du centre et de l’ouest de l’Inde se trouvait Tchimna-Pandite, propre frère du peshwa. Les talens militaires et l’infatigable activité de Molhar n’échappèrent point au docteur Tchimna, qui résolut de s’attacher un si excellent homme de guerre. Il le recommanda donc au peshwa, et bientôt le berger Molhar, appelé par celui-ci dans les provinces du sud, fut mis à la tête d’un corps de cinq cents chevaux. La carrière s’ouvrait plus large devant le jeune chef de partisans. Dégagé de toute obéissance envers Kanta-Dji-Kaddam-Bhandya, le chef de clan sous lequel il avait fait naguère ses premières armes, Molhar ne relevait plus que du peshwa. De son côté, Kaddam-Bhandya avait reçu pour récompense de ses services la possession de la ville de Godra dans le Gouzerate et plusieurs districts situés dans la même province, au nord de la rivière Mahy. Satisfait du lot qui lui était échu, il ne se montra pas jaloux de la subite élévation du vaillant berger, et celui-ci, par reconnaissance pour son ancien général, porta toujours la bannière des Kaddam-Bhandya. Cet étendard, de forme triangulaire, rayé de rouge et de blanc, surmonté d’un pennon de même couleur, acquit bientôt entre les mains de Molhar une grande célébrité, lorsque ce chef hardi, devenu le prince Molhar-Rao-Holkar[2], le fit flotter à l’avant-garde des armées presque innombrables qui ravagèrent l’Hindostan au milieu du XVIIIe siècle. Mais, avant de le suivre dans ces mémorables campagnes, il est nécessaire d’esquisser l’histoire d’un autre

  1. Une de ces tribus sauvages était celle des Bheels, race barbare, adonnée au pillage, qui a joué un rôle dans la dernière insurrection indienne.
  2. Holkar signifie qui est du village de Hol. C’était, comme on l’a dit, le nom du lieu où Molhar avait vu le jour, et aussi celui d’une tribu de bergers.