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autrement agréable à leur divinité. Quiconque d’entre eux mourrait cette nuit-là, et pour une cause aussi sacrée, était certain au surplus d’aller tout droit au sixième ciel. La nuit de la boucherie était donc attendue avec une certaine anxiété qui se trouva trop forte pour certains courages. Une douzaine d’eurasiens, poussés par un sergent ivrogne qu’exaspérait le manque d’opium, résolurent de ne pas l’attendre. Profitant d’une nuit noire, ils défirent une barricade, rompirent la porte qu’elle masquait, et, laissant cette porte ouverte, sortirent de la résidence sans avoir été aperçus. Ces misérables ne faisaient que courir ainsi au danger dont ils prétendaient se garder. Les insurgés s’emparèrent d’eux, les tuèrent, et firent des libations de leur sang sur les tazias ou images du tombeau de Hossein. Cette désertion n’en détermina pas moins plusieurs autres. La place devenait peu à peu intenable pour tous ceux que l’honneur d’une part, et de l’autre la certitude de ne trouver aucune merci, n’y attachaient point. Dans la seule nuit du 28 août, sept domestiques désertèrent. On put prévoir que bientôt, si les secours tardaient encore, il n’en resterait plus un seul.

L’assaut prévu pour quelques jours auparavant fut donné le 5 septembre. Après la plus violente canonnade qu’on eût encore essuyée, on vit au lever du soleil environ huit mille hommes d’infanterie et cinq cents chevaux manœuvrer autour de l’enclos fortifié de manière à faire prévoir une attaque. À dix heures du matin, l’explosion de deux mines en donna le signal. Aucune des deux fort heureusement n’avait été poussée assez loin et ne fit brèche aux remparts. Du double nuage que formaient la poussière et la fumée, les plus intrépides d’entre les cipayes sortirent assez résolument, et ceux qui attaquaient la batterie Gubbins plantèrent contre le bastion une échelle énorme où plusieurs se hasardèrent jusqu’au sommet. Pas un d’eux cependant n’arriva sur le terre-plein. Parmi les officiers, les meilleurs tireurs les attendaient au dernier échelon, et les abattaient à peine entrevus. Du côté de la Baily-Guard, ils furent accueillis par des décharges à mitraille « qui ouvraient dans leurs rangs de larges rues, et les dispersaient, dit M. Rees, comme la paille chassée par le vent. » Bientôt des centaines de cadavres jonchèrent le sol, et les assaillans se retirèrent derrière leurs abris, repoussés comme toujours, mais en apparence plus découragés qu’ils ne l’avaient jamais été.

Ce fut leur dernière attaque à force ouverte. Ils parurent désormais décidés à user lentement, patiemment, cette énergie désespérée contre laquelle échouaient successivement tous leurs coups de main. Après deux jours de tranquillité relative, ils se remirent à canonner aussi régulièrement que par le passé les murailles démantelées qui