Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent incessamment du repos à l’action, et renouvellent leur jeunesse comme l’aigle. Aussi devait-il être un jour violemment rejeté par les événemens hors des seules voies dans lesquelles il s’était arrangé pour marcher.

Comme un octogénaire qui ne fait guère entrer l’avenir dans ses calculs, le cardinal opposait aux difficultés sa modération inaltérable, et se conciliait les personnes lorsqu’il fallait renoncer à triompher des choses. Il fut dans les questions religieuses ce qu’il était dans l’administration proprement dite. Evêque et ministre d’une monarchie catholique, il dut continuer contre une secte transformée en faction une guerre politique et religieuse; mais si ferme qu’ait été Fleury dans sa lutte contre le jansénisme, il y porta plutôt l’esprit tempéré de Saint-Sulpice que l’ardeur agressive de la société de Jésus, affectant presque toujours de se croire victorieux lorsqu’il avait conquis le silence. Son ministère, quoique signalé par l’épisode des convulsions, forma une période d’apaisement relative dans cette ardente controverse. Le concile d’Embrun, l’acceptation de la bulle unigenitus par le cardinal de Noailles, et la soumission de la presque totalité des évêques et des docteurs appelans constatent sans doute l’autorité personnelle de Fleury au sein de ce clergé gallican dont il était le modèle et l’honneur; toutefois de tels succès étaient plus éclatans que solides, car le mal s’était étendu en se transformant, et des rangs des clercs il était passé dans ceux des laïques. Chassé de l’épiscopat, le jansénisme avait envahi la nation, et s’asseyait avec les magistrats sur le siège de la justice. Ou cette redoutable modification avait échappé aux regards du cardinal, ou elle ne l’avait point inquiété. Cependant il avait à peine fermé les yeux, que, la crise parlementaire éclatant avec une violence sans exemple, les moins clairvoyans se virent à la veille d’une révolution que la génération précédente n’avait su ni prévoir ni prévenir.

Il n’en fut guère autrement dans l’ordre philosophique, sur lequel Fleury ou ne chercha point d’influence, ou n’exerça qu’une action inefficace. Un œil plus pénétrant aurait vu fumer l’Europe, un cœur plus hardi aurait du moins tenté d’éteindre l’incendie dans son foyer en donnant au génie français une plus vive et plus féconde impulsion. L’école qui allait agiter tous les problèmes politiques n’avait du vivant du cardinal ni l’énergie d’une secte, ni même l’importance d’une puissante coterie littéraire groupée autour d’un centre commun. Aucune grande renommée, aucune œuvre éclatante ne lui avait encore concilié la faveur publique. Le front chargé de ses plus belles couronnes dramatiques. Voltaire voyageait en Angleterre, ou préparait à Cirey des écrits anonymes dont il répudiait la paternité. Jean-Jacques Rousseau copiait de la musique dans un