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ministre, opposition impuissante, quoique nombreuse, dont les manœuvres et les espérances sont consignées jour par jour dans les mémoires du marquis d’Argenson[1].

La première préoccupation de Fleury fut de rétablir avec l’Espagne les rapports si malheureusement interrompus depuis une année. Apaiser Philippe V, donner à la reine toutes les satisfactions réclamées par son orgueil encore plus que par sa tendresse, telle fut la pensée politique à laquelle Fleury subordonna toutes les autres. On peut suivre dans les prolixes mémoires de l’abbé de Montgon les progrès d’une négociation dont le renvoi de M. Le duc avait bien rendu l’ouverture possible, mais à chaque pas de laquelle le cardinal était contraint de caresser toutes les chimères du roi d’Espagne, à ce point qu’il dut se montrer favorable à ses espérances éventuelles de succession au trône, de France, espérances qu’entretint jusqu’au dernier jour de sa vie le prince qui avait pourtant déposé comme trop pesante la couronne des rois catholiques[2].

Malgré le soin qu’apportait le cardinal à ménager ces grands enfans irrités, le fil des négociations se brisait à chaque moment dans les mains de l’abbé diplomate que le hasard en avait constitué l’agent. On ne pouvait d’ailleurs, sous le règne d’Elisabeth Farnèse, gagner quelque terrain auprès de son gouvernement qu’en épousant des passions aussi mobiles que les caprices de l’ignorance et de la haine. Après des refus réitérés, cette cour avait enfin consenti à recevoir un ambassadeur de France. Le comte de Rottenbourg, envoyé à Madrid en cette qualité avec l’ordre de ne refuser pour le renvoi de l’infante aucune des excuses qui pourraient être réclamées, avait, paraît-il, poussé la fidélité à ses instructions au point de se jeter à genoux devant leurs majestés catholiques[3]; et pourtant rien n’était fait encore ! La reine voulait obtenir avant tout la promesse de n’être pas contrariée dans ses engouemens et d’être secondée dans ses plus folles entreprises. Elisabeth s’était livrée à l’Autriche avec un abandon dépassé toutefois par la colère que lui inspirait alors l’Angleterre. L’Espagne, sans marine et presque sans armée, avait imaginé d’exiger du cabinet britannique l’évacuation de Gibraltar après une occupation de plus de vingt ans; elle mettait la reprise de ses anciens rapports avec la France au prix d’un appui dans la guerre qu’elle était résolue à déclarer; elle allait enfin

  1. Mémoires de d’Argenson, journal antérieur au ministère, tome II.
  2. Mémoires de l’abbé de Montgon, tome III, p. 139, édit. de 1750.
  3. Cette étrange circonstance, dont le silence de l’abbé de Montgon pourrait faire douter, est exposée avec les détails les plus minutieux par William Coxe d’après le texte des dépêches de M. Veere, alors ministre d’Angleterre à Madrid. L’Espagne sous la maison de Bourbon, tome III, cli. 39.