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par une génération fatiguée, double prévision confirmée par l’événement.

Trois mois après que l’évêque de Fréjus eut été appelé au ministère, une nomination, opérée en dehors de la promotion ordinaire des couronnes, lui conféra la pourpre. La dignité de cardinal vint mettre le dernier sceau à une autorité exercée avec une sollicitude jalouse, quoique toujours cachée sous les formes de l’indifférence. On put juger du prix que mettrait le ministre dirigeant à conserver l’intégrité du pouvoir par le peu d’importance des collaborateurs qu’il se donna et par le soin qu’il prit toujours d’écarter des affaires publiques quiconque s’estimait en mesure d’y déployer une sorte d’indépendance. Ce furent moins des collègues que des commis qu’il s’adjoignit dans la personne du garde des sceaux d’Arménonville et du contrôleur-général Lepelletier-Desforts. M. de Maurepas, né dans le ministère, y continua cette longue carrière de frivolité brillante dont le trop fameux recueil portant son nom est demeuré le scandaleux témoignage. Si Fleury rappela Le Blanc aux affaires, ce fut moins à cause de sa capacité incontestée qu’à titre de victime personnelle de M. Le duc; la réputation du secrétaire d’état de la guerre était d’ailleurs, sous le rapport de l’intégrité, assez suspecte au public pour que le cardinal pût utiliser ses services sans avoir jamais rien à redouter de son influence. Le comte de Morville, ministre des affaires étrangères, conserva, il est vrai, pour quelque temps son portefeuille; mais la confiance que lui avait témoignée le gouvernement précédent et la part qu’il avait prise au renvoi de l’infante, événement dont Fleury aurait voulu effacer jusqu’au souvenir, laissèrent pressentir dès le premier jour à Morville le sort qui l’attendait : il comprit fort bien que sa mission se bornerait à initier aux négociations pendantes un chef de cabinet qui leur était demeuré parfaitement étranger jusqu’au jour de son avènement au pouvoir. Ce ministre ne s’étonna donc point de se voir remplacé par un jeune magistrat qui avait le double avantage de posséder une intelligence éminente et de devoir sa fortune au choix tout spontané du premier ministre. La ruine du président de Chauvelin sortit dix ans plus tard des causes mêmes qui avaient déterminé sa faveur. Lorsque, revêtu du double titre de garde des sceaux et de ministre des affaires étrangères, Chauvelin voulut se faire dans le conseil une position en rapport avec son importance, sitôt qu’on put le soupçonner surtout de s’y préparer une survivance dont le grand âge du cardinal rendait la poursuite naturelle, il reçut un ordre d’exil, et ce ministre disgracié, interné au fond de l’Auvergne, y devint le centre d’une opposition dans laquelle entrèrent tous les aspirans au pouvoir soigneusement écartés par la méfiance du vieux