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pagnole et contre la colère publique. En débat avec l’Espagne pour Gibraltar et pour d’importans intérêts coloniaux, le cabinet britannique ne manqua pas d’élargir entre les deux branches de la maison de Bourbon une scission qui assurait sa prépondérance. Au traité de Vienne la France et l’Angleterre répondirent donc par le traité de Hanovre[1], qu’elles signèrent avec la Prusse, les trois contractans définissant, dans la prévision d’une lutte prochaine, les secours qu’ils se donneraient l’un à l’autre en cas d’attaque. Ainsi l’Europe se trouva tout à coup partagée en deux camps, et du sein de la paix profonde dont elle jouissait avec bonheur depuis dix ans, la France, sans autre motif qu’une intrigue indigne d’un prince et d’une nation généreuse, se trouvait à la veille d’une guerre générale dont tous les citoyens avaient horreur, mais que tous réputaient inévitable.

À l’intérieur, la confusion était partout, et chaque invention fiscale de Pâris-Duverney venait l’augmenter encore. Des impôts décrétés sans être perçus, les grands corps de l’état en lutte ouverte avec l’autorité royale, une disette qui prit dans quelques parties du royaume les proportions d’une famine, des armées de mendians résistant dans toutes les provinces aux iniques mesures par lesquelles on attentait à leur liberté sans assurer leur subsistance, enfin la rupture d’un grand système fédératif devenue le prélude d’une guerre générale, telle était l’extrémité où deux années d’une détestable administration avaient conduit le royaume.

Toutefois l’irritation populaire, quelque vives qu’en fussent les manifestations d’après les chroniques de Marais et de Barbier, ne troublait guère la sécurité du premier ministre ; elle altérait bien moins encore la physionomie toujours souriante du monde frivole au sein duquel un roi de dix-sept ans écoulait sa vie entre les distractions prolongées de l’enfance et les premières émotions de la jeunesse. Aucun bruit du dehors n’avait accès dans une cour où le maître n’échappait à sa timidité que par les plus fatigans plaisirs, et pour laquelle les forêts de Rambouillet et de Fontainebleau, théâtres ordinaires des chasses royales, étaient comme les limites du monde. Dans l’isolement où se tenait le nouveau duc d’Orléans, comment attaquer le chef de la maison de Condé et lui disputer un pouvoir qui, dans l’opinion des courtisans, revêtait alors le caractère d’un droit de naissance ? Comment lutter contre la reine, toute dévouée au premier ministre et dirigée comme la plus soumise des pensionnaires par Mme de Prie et par Duverney, qui gouvernait la France avec le simple titre de secrétaire de ses commandemens ? Parmi les survivans oubliés du dernier règne, parmi les brillans étourdis admis dans l’intimité royale, quel homme assez

  1. 3 septembre 1723.