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résolument et sans retard l’héritage politique de son père, il n’aurait probablement rencontré ni objection ni résistance. Il eût été moins insolite en effet de voir le premier prince du sang exercer les fonctions de premier ministre à vingt ans qu’il ne l’avait été de voir à quatorze ans M. de Maurepas succéder, à titre héréditaire, à la charge de secrétaire d’état de la marine. Mais le nouveau chef de la maison d’Orléans n’avait ni l’habitude de la cour ni l’ambition de la puissance; il laissait pressentir déjà le dégoût du monde qui conduisit bientôt aux plus hautes spéculations de la piété et de la science le fils du prince le plus dissolu de son temps. Un pareil homme laissait le champ libre à un rival tout préoccupé du soin de grandir sa fortune et l’importance de sa maison, et qui, à l’époque du système comme lors du fameux lit de justice de 1718, avait prouvé que, pour atteindre le double but de ses ardentes poursuites, il ne reculait ni devant les scrupules de la délicatesse ni devant les extrémités de la violence.

L’attaque d’apoplexie à laquelle avait succombé l’ancien régent était à peine connue du jeune roi, que le duc de Bourbon sollicitait et obtenait, en vertu du droit de sa naissance, le titre de premier ministre, porté par le duc d’Orléans depuis la majorité légale du monarque. Le chef de la maison de Condé passa donc à son tour par cette épreuve suprême du pouvoir, où il porta des vices moins éclatans, mais plus dangereux que ceux de son prédécesseur. De la régence il retint tout, excepté l’habileté et la fortune.

Après avoir poursuivi ses proches avec âpreté, M. Le duc avait eu l’irréparable malheur d’augmenter démesurément ses richesses par des procédés indignes de son nom. D’un égoïsme brutal, et dénué de lumières sans l’être de sagacité, ce prince avait installé toutes ses passions au pouvoir comme un cortège naturel. Si le régent avait eu le mérite de séparer toujours les faiblesses de sa vie privée des devoirs de sa vie publique, M. Le duc imposa sans hésiter à la France les volontés et jusqu’aux caprices d’esprit de la femme qui le perdit par sa soif insatiable d’agir et de gouverner. On pourrait écrire l’histoire politique de la régence sans avoir l’occasion de nommer ces nombreuses prêtresses de la volupté qui couronnèrent de fleurs éphémères le front du duc d’Orléans jusqu’à l’heure où il tomba mort aux pieds de l’une d’entre elles, comme foudroyé par le seul dieu dont il eût jamais embrassé l’autel. Vainement s’efforcerait-on de rattacher une mesure importante de son gouvernement au nom de ces femmes, qui se succédèrent sans laisser plus de trace dans les affaires de l’état que dans le cœur du prince, tant ce dernier était maître de sa volonté et de son secret jusqu’au sein de l’ivresse qui fut sa honte! Le gouvernement de M. Le duc, durant les trente mois de son ministère, fut au contraire le gouvernement