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comme je présume que vous avez droit de vendre un peu plus cher à ceux qui prennent sur vos terres le plaisir de la chasse qu’à ceux qui achètent purement et simplement une denrée, je vous prie d’accepter trente dalers que j’ai là sur moi…

Christian acheva sa phrase en lui-même, « et qui sont tout ce que je possède. »

— Trente dalers ! s’écria le danneman, c’est beaucoup ; tu es donc bien riche ?

— Je le suis assez pour vous prier de les accepter.

Le danneman prit l’argent, le regarda, puis il regarda les mains de Christian, mais sans en rien remarquer que la blancheur. — Ton or est bon, dit-il, et ta main est blanche. Tu n’es pas un homme qui travaille, et pourtant tu manges le kakebroë comme un Dalécarlien. Ta figure est du pays et ton langage n’en est pas… Les habits que tu avais en venant ici ne sont pas plus beaux que les miens. Ce que je vois, c’est que tu es fier ; c’est que tu ne veux pas que tes amis, qui t’ont cédé le plaisir de tuer le malin, dépensent encore leur argent pour toi.

— Précisément, herr Bœtsoï, vous y voilà.

— Sois tranquille. Joë Bœtsoï est un honnête homme ; il ne recevra rien de tes amis, puisque tu lui laisses ton gibier. Quant à accepter de toi une récompense, cela dépend. Peux-tu me jurer, sur l’honneur, que tu es un jeune homme riche, un fils de famille ?

— Qu’importe ? dit Christian.

— Non, non, reprit le danneman ; tu m’as sauvé la vie, je ne t’en remercie pas, c’est ce que j’aurais fait pour toi ; mais tu es un fin tireur, et de plus tu es un homme qui sait écouter un autre homme. Si, quand je t’ai fait signe là-bas, tu n’avais pas voulu aller comme je voulais, nous étions dans un mauvais pas tous les deux,… et moi surtout, sans épieu et le bras mal entouré. Je suis content de toi, et je voudrais que mon fils fût de ta mine et de ton caractère, car tu es un garçon hardi et doux ; donc, si tu n’es pas riche, ne fais pas avec moi semblant d’être riche. À quoi sert ? Je ne suis pas dans la misère, moi ! Je ne manque de rien selon mes besoins, et si tu manquais de quelque chose, tu pourrais t’adresser à Joë Bœtsoï, qui ne serait pas en peine de trouver trente dalers, et même cent, pour rendre service à un ami.

— J’en suis bien certain, herr Bœtsoï, répondit Christian, et je viendrais à vous avec confiance, non pas pour vous demander cent ni trente dalers, mais de l’ouvrage à votre service. Il n’est pas dit que cela n’arrive point ; mais si cela arrive, j’aurai bien plus de plaisir à me présenter après vous avoir payé ce qui vous est dû et