Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/805

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raient le corps de leur mère, et voudraient fuir avant l’arrivée des autres chasseurs.

Ils parurent bientôt, arrivant de trois côtés, avertis déjà par les coups de fusil, Larrson, le premier, criant victoire pour Christian à la vue de l’ourse énorme couchée à ses pieds.

— Prenez garde ! arrêtez-vous ! s’écria Christian. Notre ourse était pleine, elle vient de mettre bas deux beaux petits. Je vous demande grâce pour ces pauvres orphelins. Prenez-les vivans.

— Certes, répondit Larrson. À l’aide, camarades ! Il s’agit ici de faire des élèves !

On entoura le cadavre de l’ourse et on le souleva avec précaution, car il y a toujours à se méfier de l’ours qui paraît mort. On s’empara avec quelque peine des deux petits, qui déjà montraient les dents et les griffes, et qui furent liés et muselés avec soin, après quoi on eut le loisir d’admirer l’ample capture qu’avait recelée la tanière, et il y eut des regrets à demi exprimés que le danneman s’empressa de prévenir.

— Il faut que vous me pardonniez ce que j’ai fait, dit-il aux jeunes officiers. Je me doutais bien que cette grande bigarrée était une mère : l’ai-je dit qu’elle était bigarrée ? Oh ! je l’avais bien vue ; mais je n’avais pas pu bien voir les petits, et quant à l’ami, je ne l’avais pas vu du tout. On m’avait bien dit que souvent la mère emmenait dans son hivernage un jeune malin qui n’était ni le père de ses petits, ni même un individu de son espèce, pour défendre et conduire ses enfans dans le cas où elle serait tuée. Je ne le croyais pas beaucoup, ne l’ayant jamais vu. À présent je le vois et j’y croirai. Si je l’avais cru, j’aurais emmené deux de vous afin que chacun pût abattre une belle pièce ; mais qui pouvait s’attendre à cela ? Ne comptant pas tirer, je n’avais pris mon fusil que par précaution, dans le cas où le herr que je conduisais manquerait son coup et se mettrait en danger. Quant à l’épieu ferré, je croyais si peu avoir à m’en servir, que je n’avais pas seulement regardé si celui que je prenais était en bon état… Eh bien ! voici ce qui est arrivé, continua le danneman en s’adressant à Christian. J’avais dit que je reviendrais te prendre après avoir posté les autres, et, quand cela a été fait, je pensais revenir droit sur toi ; mais il faut croire que quelque bête avait dérangé mes brisées de la nuit dernière, car, sans m’égarer précisément, j’ai passé devant la tanière et je ne me suis reconnu que quand il était trop tard pour reculer. La maligne m’avait entendu, elle venait sur moi, parce qu’elle avait des petits. J’ai essayé de lui faire peur avec mes bras pour la faire rentrer chez elle ; elle n’a pas voulu avoir peur, elle s’est levée. Je lui ai fendu le ventre, il le fallait bien, et en même temps j’ai appelé