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conçu pour son hôte étranger une sympathie particulière ; mais cet homme, qui connaissait tous les dialectes du Norrland et même le finnois et le russe d’Archangel, ne parlait le suédois, sa propre langue nationale, qu’avec peine. Christian, qui, avec sa curiosité et sa facilité habituelles, s’exerçait déjà à comprendre le dalécarlien, n’avait saisi que vaguement, et par la pantomime du narrateur, les récits intéressans de ses chasses et de ses voyages, provoqués et recueillis avidement par les autres convives.

Fatigué des efforts d’attention qu’il était obligé de faire et de la chaleur excessive qui régnait dans la chambre, Christian s’était éloigné du poêle et de la table. Il regardait par la fenêtre le sublime paysage que dominait le chalet, planté au bord d’une profonde gorge granitique, dont les flancs noirs, rayés de cascatelles glacées, plongeaient à pic jusqu’au lit du torrent. Les prairies naturelles, inclinées au-dessus de l’abîme, étaient, en beaucoup d’endroits, si rapides, que la neige n’avait pu s’y maintenir contre les rafales, et qu’elles étalaient au soleil leurs nappes vertes légèrement poudrées de givre, brillantes comme des tapis d’émeraudes pâles. Ces restes d’une verdure tendre, victorieuse des frimas, étaient rehaussés par le vert sombre et presque noir des gigantesques pins, pressés et dressés comme des monumens de l’abîme, et tout frangés de girandoles de glace. Ceux qui étaient placés dans les creux où séjournait la neige entassée y étaient ensevelis jusqu’à la moitié de leur fût, et ce fût est quelquefois de cent soixante pieds de haut. Leurs branches, trop chargées de glaçons, pendaient et s’enfonçaient dans la neige, raides comme les arcs-boutans des cathédrales gothiques. À l’horizon, les pics escarpés du Sevenberg dressaient, dans un ciel couleur d’améthiste, leurs crêtes rosées, séjour des glaces éternelles. Il était onze heures du matin environ ; le soleil projetait déjà ses rayons vers les profondeurs bleuâtres qui, à l’arrivée de Christian sur la montagne, étaient encore plongées dans les tons mornes et froids de la nuit. À chaque instant, il les voyait s’animer de lueurs changeantes comme l’opale.

Tout voyageur artiste a signalé la beauté des paysages neigeux sous les latitudes qui sont, pour ainsi dire, leur théâtre de prédilection. Chez nous, la neige ne parvient jamais à tout son éclat : ce n’est que dans les lieux accidentés, et en de rares journées où elle résiste au soleil, que nous pouvons nous faire une idée de la splendeur des tons qu’elle revêt, de la transparence des ombres que ses masses reçoivent. Christian était pris d’enthousiasme. Comparant le bien-être relatif du chalet (bien-être excessif quant à la chaleur) avec l’âpreté solennelle du spectacle extérieur, il se mit à songer à la vie du danneman, et à se la représenter par l’imagination au