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chasseur émérite, lui expliquait dans quelles régions du nord de l’Europe ces espèces étaient répandues.

— Puisque nous allons chasser l’ours tout à l’heure, lui dit-il en terminant, il est bon que vous connaissiez d’avance à quelle variété nous aurons affaire. Selon le danneman Bœtsoï, c’est à un métis ; mais il n’est encore prouvé pour personne que les différentes espèces se reproduisent entre elles. On en compte trois en Norvège : le bress-diur, qui vit de feuilles et d’herbes, et qui est friand de lait et de miel ; l’ildgiers-diur, qui mange de la viande, et le myrebiorn, qui se nourrit de fourmis. Quant à l’ours blanc des mers glaciales, qui est une cinquième famille encore plus tranchée, je n’ai pas besoin de vous dire que nous ne le connaissons pas.

— Voilà pourtant, dit Christian, deux peaux d’ours polaire qui ne me paraissent pas les pièces les moins précieuses de la collection du danneman. A-t-il été chasser jusque sur la mer glaciale ?

— C’est fort possible, répondit le major. Dans tous les cas, il est, comme je vous l’ai dit, en relations avec l’extrême Nord, et il lui arrive fort bien de faire deux cents lieues en traîneau, au cœur de l’hiver, pour aller opérer des échanges avec des chasseurs qui ont fait tout autant de chemin sur leurs patins ou avec leurs rennes pour venir à sa rencontre. Aujourd’hui même il prétend nous mettre en présence d’un métis d’ours blanc et d’ours noir, vu que son pelage lui a paru mélangé ; mais comme il ne l’a vu que la nuit, à la clarté fort trompeuse de l’aurore boréale, je ne vous garantis rien. L’ours est un être si méfiant, que ses mœurs sont encore très mystérieuses, même dans nos contrées, où il abondait il y a cent ans, et où il est encore très commun. On ne sait donc pas si l’ours à la robe mélangée est un métis ou une espèce à part. Les uns croient que, le pelage blanc étant un effet de l’hiver, le pelage pie est un commencement ou une fin de la métamorphose annuelle : d’autres assurent que l’ours blanc est blanc en toute saison ; mais tout ce que je vous dis là, Christian, vous le savez mieux que moi peut-être… Vous avez lu tant d’ouvrages que je ne connais que de nom…

— C’est précisément parce que j’ai lu beaucoup d’ouvrages que je ne sais rien pour résoudre vos doutes. Buffon contredit Wormsius précisément à l’endroit des ours, et tous les savans se contredisent les uns les autres presque à propos de tout, ce qui ne les empêche pas de se contredire eux-mêmes. Ce n’est pas leur faute en général ; la plupart des lois de la nature sont encore à l’état d’énigme, et si les mœurs des animaux qui vivent à la surface de la terre sont encore si peu ou si mal observées, jugez des secrets que renferment les flancs du globe ! C’est là ce qui me faisait vous dire tantôt que tout homme, si petit qu’il fût, pouvait découvrir des