Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut que vous sachiez qu’il est habile, non-seulement pour dépister la grosse bête, mais encore pour la tuer sans l’endommager, et pour préparer et conserver sa précieuse dépouille. C’est toujours à lui que nous nous adressons quand nous voulons quelque chose de bon et de beau moyennant un prix honnête : des draps de peau de daim de lait, qui sont, pour l’été, le coucher le plus frais et le plus souple, et qui se lavent comme du linge ; des peaux d’ours noir à longs poils pour doubler les traîneaux, des manteaux de peau de veau marin, qui sont impénétrables à la pluie, à la neige, et aux longs brouillards d’automne, plus pénétrans et plus malsains que tout le reste ; enfin des raretés et même des curiosités en fait de fourrures, car ce Joë Bœtsoï a beaucoup voyagé dans les pays froids, et il conserve des relations avec des chasseurs qui lui font passer les objets de son commerce par les Lapons nomades et les Norvégiens trafiquans, ces caravanes du Nord dont le renne est le chameau, et dont le commerce n’est souvent qu’un échange de denrées, à la manière des anciens.

Christian était curieux de voir ces fourrures. Le danneman pensa qu’il désirait faire quelque acquisition, et le conduisant avec le major à un petit hangar où les peaux étaient suspendues, il pria Larrson de disposer de toutes ses richesses, à la satisfaction de son ami, sans vouloir seulement savoir le prix de vente avant de le recevoir. — Tu t’y connais aussi bien que moi, lui dit-il, et tu es le maître dans ma maison.

Christian, à qui Osmund traduisit ces paroles, admira la confiance du Dalécarlien et demanda si cette confiance s’étendait à quiconque réclamait son hospitalité. — Elle est généralement très grande, répondit le major ; ici les mœurs sont patriarcales. Le Dalécarlien, ce Suisse du Nord, a de grandes et rudes vertus ; mais il habite un pays de misère. L’exploitation des mines y amène beaucoup de vagabonds, et ce monde souterrain cache souvent des criminels qui se soustraient longtemps aux châtimens prononcés contre eux dans d’autres provinces. Le paysan, quand il n’est ni propriétaire, ni employé aux mines, est si misérable qu’il est parfois forcé de mendier ou de voler. Et cependant le nombre des malfaiteurs est infiniment petit quand on le compare à celui des gens sans ressources, dont les ordres privilégiés ne s’occupent nullement. Le paysan riche ne peut donc se fier à tous les passans, et il ne se fie pas davantage au noble, qui vote régulièrement à la diète pour ses propres intérêts, contrairement à ceux des autres ordres ; mais le militaire, surtout le membre de l’indelta, est l’ami du paysan. Nous sommes le pouvoir le plus indépendant qui existe, puisque la loi nous assure une existence heureuse et honorable, en dépit de toute influence