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deux traîneaux arrêtés, et le major, qui, l’apercevant, accourut d’un air joyeux.

— Bravo ! s’écria-t-il, vous possédez l’exactitude par esprit de divination ! Comment diable saviez-vous nous trouver ici ?

— Je ne savais rien, répondit Christian ; j’allais au château neuf à tout hasard.

— Eh bien ! le hasard est pour nous dès le matin ; cela signifie que la chasse sera bonne… Ah çà ! vous êtes fort bien déguisé, comme hier soir, mais vous n’êtes ni chaussé ni armé pour la circonstance. J’avais prévu cela heureusement, et nous avons pour vous tout ce qu’il faut. En attendant, prenez cette pelisse de précaution et partons vite. Nous allons un peu loin, et la journée ne sera pas trop longue pour tout ce que nous avons à faire.

Christian monta avec Larrson dans un petit traîneau du pays, très léger, à deux places, et mené par un seul petit cheval de montagne. Le lieutenant, avec le caporal Duff, qui était un bon vieux sous-officier expert en fait de chasse, monta dans un véhicule de même forme. Le major prit les devans, et l’on se mit en route au petit galop.

— Il faut que vous sachiez, dit le major à Christian, que nous allons nous hâter de chasser pour notre compte. Ce n’est ni le gibier, ni les tireurs adroits qui manquent sur les terres du baron, il est lui-même un très savant et très intrépide chasseur ; mais, comme il doit consentir à envoyer ou à conduire à la battue d’aujourd’hui beaucoup de ses hôtes qui n’y entendent pas grand’chose, et qui ont plus de prétentions que d’habileté, il est fort à craindre qu’on n’y fasse plus de bruit que de besogne. Et d’ailleurs la battue avec les paysans est une chose sans grand intérêt, comme vous pourrez vous en assurer, lorsque, après avoir fait notre expédition, nous reviendrons par la montagne que vous voyez là-haut. C’est une espèce d’assassinat vraiment lâche : on entoure le pauvre ours qui ne veut pas toujours quitter sa tanière ; on l’effraie, on le harcèle, et quand il en sort enfin pour faire tête ou pour fuir, on le tire sans danger de derrière les filets où l’on se tient à l’abri de son désespoir. Or, outre que cela manque de piquant et d’imprévu, il arrive fort souvent que les impatiens et les maladroits font tout manquer, et que la bête a déguerpi avant qu’on ait pu l’atteindre. Nous allons opérer tout autrement, sans traqueurs, sans vacarme et sans chiens. Je vous dirai ce qu’il y aura à faire quand nous approcherons du bon moment. Et croyez-moi, la vraie chasse est comme tous les vrais plaisirs ; il n’y faut point de foule. C’est une partie fine qui n’est bonne qu’avec des amis ou des personnes de premier choix.

— J’ai donc, répondit Christian, double remerciement à vous