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— Bah ! bah ! vous vous en moquez bien ! Je me charge d’arranger cela d’ailleurs : je dirai que c’est un pauvre diable qui a eu la jambe broyée, et que l’on opère.

— Et tu recevras ses révélations !

— Oui certes… Qui donc ?

— J’aimerais mieux être là.

— Vous savez bien que vous avez le cœur tendre, et que vous ne pouvez pas voir souffrir.

— C’est vrai, cela me dérange l’estomac et les entrailles… J’irai à la chasse pour tout de bon.

— Allons, rendormez-vous en attendant l’heure. Je veillerai à tout.

— Et tu trouveras l’inconnu ?

— Celui-là, ce doit être un compère. Nous ne le trouverons que par les aveux du Tebaldo.

— D’autant plus qu’il offrait de me livrer celui… Mais ce n’est peut-être pas le même !

— Je le confesserai sur tous les points, dormez tranquille.

— L’a-t-on fait jeûner, cet Italien ?

— Parbleu !

— Alors va-t’en, je vais essayer de reposer encore un peu… Tu m’as calmé, Johan… Tu as toujours des idées, toi ; moi, je baisse… Ah ! que j’ai vieilli vite, mon Dieu !

Johan sortit en recommandant à Jacob de réveiller le baron à huit heures. Jacob était un valet de chambre qui couchait toujours dans un cabinet contigu à la chambre du baron. C’était un très honnête homme, avec qui le baron jouait le rôle de bon maître, sachant bien qu’il est utile d’avoir quelques braves gens autour de soi, ne fût-ce que pour pouvoir dormir en paix sous leur garde.

Quant à Christian, qui dormait toujours très bien en quelque lieu et en quelque compagnie qu’il se trouvât, il se réveilla au bout de six heures de sommeil, et se leva doucement pour regarder le ciel. Le jour ne paraissait pas encore ; mais comme le jeune homme allait se recoucher, il se rappela la partie de chasse qui devait probablement commencer à s’organiser en ce moment au château neuf. Christian n’était chasseur qu’en vue d’histoire naturelle. Adroit tireur, il n’avait jamais eu la passion de tuer du gibier pour tuer le temps et pour montrer son adresse ; mais une chasse à l’ours lui offrait l’intérêt d’une chose neuve, pittoresque, ou intéressante au point de vue zoologique. Il se sentit donc tout à coup et tout à fait réveillé, et parfaitement résolu à aller voir ce spectacle, sauf à ne pas le voir tout entier et à revenir à temps pour préparer sa représentation avec M. Goefle.