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tion ; mais, bien que M. Goefle fût encore un peu excité et que Christian mît la meilleure grâce du monde à lui donner la réplique, le sommeil vint bientôt s’abattre comme une avalanche de plumes sur les esprits du jeune homme, et le docteur en droit, après avoir maugréé contre Nils, qui ronflait à faire trembler les vitres, prit le parti de s’endormir aussi.

En ce moment, le baron de Waldemora s’éveillait au château neuf. Lorsque, d’après son ordre, Johan entra chez lui, il le trouva assis sur son lit et à demi vêtu.

— Il est trois heures, monsieur le baron, lui dit le majordome. Avez-vous un peu reposé ?

— J’ai dormi, Johan, mais bien mal ; j’ai rêvé marionnettes toute la nuit.

— Eh bien ! mon maître, ce n’est pas un rêve triste, cela ! ces marionnettes étaient fort drôles.

— Tu trouves, toi ? Allons, soit !

— Mais vous avez ri vous-même ?

— On rit toujours. La vie est un rire perpétuel,… un rire bien triste, Johan !

— Voyons, mon maître, pas d’idées noires. Qu’avez-vous à m’ordonner ?

— Rien ! si je dois mourir aujourd’hui, qui pourra l’empêcher ?

— Mourir ! où diable prenez-vous cela ? Vous avez une mine admirable ce matin !

— Mais si on m’assassinait ?

— Qui donc aurait cette pensée ?

— Beaucoup de gens ; mais surtout l’homme du bal, celui dont la figure et la menace…

— Le prétendu neveu de l’avocat ? Je ne comprends pas que vous vous tourmentiez de cette figure-là. Elle ne ressemble nullement à celle…

— Tais-toi, tu n’as jamais vu clair de ta vie, tu es myope !

— Oh ! que non !

— Mais un insolent qui, chez moi, devant tout le monde, ose me regarder en face et me défier !

— Cela vous est arrivé plus d’une fois, et vous en avez toujours ri.

— Et cette fois je suis tombé foudroyé !

— C’est ce maudit anniversaire ! Vous savez bien que tous les ans il vous rend malade, et puis vous l’oubliez.

— Je ne me reproche rien, Johan.

— Parbleu ! croyez-vous que je vous reproche quelque chose ?

— Mais que se passe-t-il dans ma pauvre tête pour que j’aie ces visions ?