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et ces contrastes entre les hommes, cette incohérence même de pensées et d’affections dans chaque individu n’en sont pas moins de véritables infirmités : c’est par là souvent que le mal fait irruption dans le bien; c’est par là que peuvent être mis en péril l’honneur ou le succès des meilleurs desseins, des plus nobles doctrines, et c’est à cette misère de notre condition que doivent s’en prendre particulièrement les hommes de ce temps-ci, tant de fois réserves à voir la vérité compromise par l’erreur, la justice par la violence, et nos entreprises, semblables aux poèmes que condamne Horace, terminer par des extrémités hideuses le corps d’une femme à la beauté de déesse.

Avant d’appliquer ces idées à la philosophie et à la révolution, citons un exemple assez frappant de cette singulière faculté, parfois utile, souvent funeste, que l’humanité possède, d’associer les contraires et d’agir avec une entière sécurité d’esprit en sens inverse de ses principes. Tout le monde sait qu’il existe une interprétation rigoureuse du dogme du péché originel qui détruit à la fois toute ombre de vertu naturelle et de libre arbitre. Le calvinisme est accusé d’arriver à cette extrémité, et dans toutes les sectes du christianisme on désigne des écoles suspectes de la même tendance. On veut que, par opposition à Pelage, saint Augustin ait incliné en ce sens, et saint Thomas d’Aquin a encouru le même soupçon. Quoi qu’on pense néanmoins du fond de la doctrine et de ses rapports avec l’essence du christianisme, il semble présumable qu’une croyance fondée sur la corruption intégrale et absolue de l’humanité, sur la chute irrémédiable de la raison et de la volonté, devrait conduire ceux qui la professent, quand ils regardent à la politique, à prendre parti pour le pouvoir absolu. Toute liberté publique suppose un certain empire naturel de la raison. Toute liberté publique admet que le bien est plus puissant que le mal. Si l’homme est tel que le décrit le pessimisme des gomaristes et de leurs pareils, il n’est ni digne ni capable d’être à un degré quelconque livré à lui-même, et la discipline du couvent le plus strict est encore trop douce pour cette créature de révolte et de désordre. Et cependant voyons les faits : les peuples protestans, qu’ils prennent pour maître Luther ou Calvin, tendent à quelque négation du libre arbitre; sont-ils pour cela des peuples épris de la tyrannie? Ce n’est pas généralement sur le sol où ils habitent que fleurit la servitude. Leurs sectes les plus zélées sont loin de s’être armées pour le despotisme. Les presbytériens n’étaient pas des absolutistes; les puritains ont combattu pour la liberté, première secte peut-être qui ait conçu quelque juste idée de la liberté de conscience. En un mot, par une dissonance qui d’abord étonne, les adversaires du libre arbitre, en