Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/752

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savoir. Il faut se résigner et trouver bon que la presse ait fait à la science et à la pensée une condition nouvelle. On ne peut empêcher les grands faits historiques de s’être accomplis. C’est l’histoire qui a légué à la philosophie le milieu social dans lequel elle s’est développée parmi nous, et de l’ancien régime est née celle qui devait renverser l’ancien régime.

Je ne suis insensible à aucune gloire nationale. J’admire les points brillans de notre histoire : Richelieu est un grand politique, Condé un grand capitaine, Bossuet un grand orateur; mais ils n’en ont pas moins laissé après eux une France qui allait à une révolution. Un mouvement qui date de la fin du moyen âge emporte les sociétés modernes, et tous les panégyriques du passé n’empêcheront pas que ce mouvement n’ait tendu à un renouvellement universel. Le moyen âge a si bien fait que tout ce qui s’est appelé renaissance, émancipation, progrès, civilisation, n’a été qu’une longue réaction contre lui. Pouvoirs, institutions, lois, systèmes, presque tout a été considéré comme autant de jougs à briser. L’esprit nouveau du monde a été un esprit d’indépendance qui tantôt par un lent travail, tantôt par de brusques efforts, allait changer la face du monde, et tour à tour réformateur ou révolutionnaire, il a passé de la religion à la politique, des arts aux sciences, de la législation à l’industrie. Aussi le ton général a-t-il été constamment critique et agressif. L’attaque a pu être mesurée, détournée, secrète; des haltes, des trêves ont pu la suspendre : il y a eu des momens soit de lassitude, soit de confiance, où une satisfaction apparente a semblé tout pacifier; mais le fond a subsisté, et les hostilités n’ont été jamais qu’interrompues. Prenez pour exemple la littérature. Quand a-t-elle cessé d’être animée d’un esprit d’opposition? Les écrivains flatteurs de Louis XIV attaquaient eux-mêmes ce que Louis XIV aimait. La noblesse et l’église sortaient assez maltraitées des satires de Despréaux; la monarchie absolue n’avait point à se louer de La Bruyère; les prédicateurs dénonçaient la cour à la nation, et le grand roi lui-même, qu’il disgraciât l’auteur du Télémaque ou qu’il protégeât l’auteur de Tartuffe, travaillait pour la révolution française, car la révolution était au terme de toutes choses. Toutes les voies y menaient. L’esprit d’opposition est plus facile à comprimer qu’à modérer, et quand il est général, on ne le comprime point. Le pouvoir cède ou résiste; mais en cédant il encourage, en résistant il irrite. Bientôt tout s’envenime ou s’exagère, et la passion descend jusqu’à la ruse pour miner le pouvoir, que la raison d’état conduit à l’hypocrisie, et qui offense sans imposer.

Tel devait être le résultat du gouvernement tant vanté du XVIIe siècle. Il devait laisser la société sans respect pour l’autorité et sans contentement d’elle-même. La civilisation moderne, issue de la