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voir de quels maux nos pères cherchaient à tout prix à se guérir en montrant à quels remèdes violons, à quels hasardeux conseils ils étaient forcés d’avoir recours.

Personne alors ne se défiait de la raison et ne doutait que son règne ne fut arrivé. Les idées les plus risquées n’inspiraient aucun scrupule, et toute licence était donnée au bon plaisir de l’intelligence. Ces auteurs, que certes nous ne plaçons point pour la plupart à un rang fort élevé, ont en général sur leurs censeurs actuels l’avantage de bien penser de l’esprit humain et d’en beaucoup attendre. Ils n’écrivent point pour décourager ceux qui réfléchissent. Moins intimidés que nos contemporains, ils veulent pénétrer jusqu’à la vérité, et au lieu de tourner autour de la place, ils donnent l’assaut. C’est un contraste étrange que celui qui nous frappe au spectacle du XVIIIe siècle. La philosophie manque souvent de grandeur, et l’esprit humain ne s’est jamais senti si grand. La doctrine est sans élévation, et les desseins sont sublimes. La science s’abaisse, et l’homme se redresse. Ces obscurs promoteurs d’un matérialisme vulgaire, que M. Damiron nous fait si bien connaître, sont remplis d’enthousiasme pour l’humanité qu’ils dégradent, et pleins de foi dans les triomphes de la pensée, de cette pensée à laquelle ils arrachent sa dignité et jusqu’à son existence. Ces disparates n’échappent point à M. Damiron, et par momens elles désarment sa rigueur. Ce n’est pas cependant qu’il subordonne ses jugemens à aucun intérêt de circonstance : il ne tient compte que de sa raison. Assez véritablement philosophe pour prendre philosophiquement la philosophie même, il cherche le vrai, et il le dit, le vrai dût-il la compromettre. Sa tranquille sagesse ne s’inquiète de plaire ni de nuire à personne, et pourvu qu’il ait parlé comme il pense, il est content. Aussi tel lecteur pourra-t-il le trouver sévère lorsqu’il n’est que désintéressé, et d’autres le soupçonneront d’inconséquence, parce qu’en condamnant les doctrines il absout les intentions, parce qu’au milieu d’erreurs funestes il signale une louable tendance, parce qu’il professe un attachement fidèle aux conquêtes du siècle dont il réprouve les systèmes. Nous le louerons, nous, d’une impartialité qui ne méconnaît pas le bien à cause du mal; c’est l’indispensable mérite d’un bon juge. Seulement peut-être regretterons-nous qu’en notant les écarts d’une métaphysique qui, mutilant l’intelligence, est parvenue à ébranler les principes de la religion et même de la morale, il n’ait pas complètement expliqué comment le temps qui l’a produite a tant fait pour l’humanité, comment les vérités les plus précieuses pour l’ordre social ont pu naître au sein des erreurs de l’esprit de système. Peut-être enfin souhaiterions-nous qu’il se fût attaché davantage à montrer comment on peut contester la philosophie du XVIIIe siècle et professer l’esprit de 1789, approuver ainsi dans son ensemble le