Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaiblis par les privations, les maladies, le manque de sommeil, de suffire aux travaux indispensables pour combattre ces approches à couvert. Aussi, dès qu’on eut parlé de « mines, » l’anxiété fut-elle grande parmi eux. Ce furent d’abord de vagues rumeurs, commentées, discutées, démenties. S’agissait-il de véritables galeries ou de simples tranchées ? Les ingénieurs penchaient pour cette dernière hypothèse, la plus consolante des deux, mais ils ne trouvaient pas crédit chez tout le monde, témoin cet ami de M. Rees qui ne le rencontrait jamais sans lui parler des progrès souterrains faits par les insurgés. Se regardant comme parfaitement sûr de sauter un jour ou l’autre : « Hourra ! mon bon ami, lui criait-il, hourra pour un céleste voyage en l’air ! »

Ce parti-pris philosophique n’était pas, naturellement et heureusement, à l’usage des officiers du génie. Or parmi eux s’en trouva un, porteur d’un nom célèbre, à qui, après sir Henry Lawrence, l’opinion de bien des gens attribue le salut de Lucknow. Le capitaine Fulton, investi de toute la confiance du général Inglis, et placé par les circonstances[1] à la tête des ingénieurs militaires qui aidaient à défendre la résidence, s’adjugea le soin périlleux de deviner, sous la terre fouillée dans tous les sens, le trajet des galeries percées par l’ennemi ; il se promit de veiller à ce qu’elles fussent détruites en temps utile. Les travaux commencèrent le 26 juillet devant la batterie dite de Cawnpore. Le 27, à travers deux planches jetées, comme par hasard, sur la route qui séparait des palissades anglaises une maison (Johannes-House) occupée par les cipayes, on aperçut, en y regardant bien, la main d’un homme soulevée à temps égaux. Ces planches, qu’on avait posées là pendant la nuit, abritaient son travail mystérieux. Peu après, la terre, creusée presqu’à la surface et détrempée par la pluie, s’éboula près de ces planches sur une longueur de sept ou huit pieds, révélant ainsi la direction de la mine pressentie. Elle traversait la route et poussait droit à l’estacade élevée du côté opposé. Six pieds de plus, elle y arrivait. Il était donc grand, temps et de l’apercevoir et d’y opposer une autre mine, ce qu’on fit pendant que, du haut de la brigade-mess, quelques bons tireurs, entretenant un feu nourri dans la direction de l’éboule-

  1. Son supérieur hiérarchique, le major Anderson, était alors dans un état de santé si précaire, qu’il avait dû renoncer à toute fonction active. Le capitaine Fulton, du reste, fut tué le 14 septembre. Un boulet de canon lui emporta la tête pendant que, du haut de la batterie Gubbins, il examinait les travaux de l’ennemi. Nous trouvons consignés dans tous les récits du siège les témoignages les plus expressifs de la reconnaissance que lui avaient vouée les assiégés, et des regrets que sa perte leur laissa. Le corps de mineurs formé pour la circonstance par le capitaine Fulton n’était que de vingt-quatre hommes, dont six Européens seulement Les insurgés avaient à leurs ordres tous les coolies disponibles à Lucknow.