Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/731

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous l’espérons, ne se séparera point sans avoir réglé cette question, et, à en juger par la bonne grâce avec laquelle l’Autriche renonce depuis quelque temps à ses prétentions, nous croyons pouvoir prédire qu’elle battra honnêtement en retraite sur cette affaire des juridictions consulaires.

Ne dirait-on pas qu’il se fait aujourd’hui en toute chose et dans tous les pays une vaste et laborieuse expérience toujours féconde en épisodes? L’expérience du moment en Espagne, c’est la situation qui vient d’être créée, c’est le retour du général O’Donnell aux affaires, c’est l’avènement d’une politique dont on suit, dont on interroge les actes avec une curiosité qui n’est encore qu’à demi satisfaite. Tel est en effet le caractère du cabinet formé récemment à Madrid : c’est un essai, et cet essai se poursuit depuis un mois au milieu de complications intimes dont nul ne peut prévoir l’issue, au milieu de toutes les difficultés inhérentes à une situation dont le premier trait est la décomposition totale des anciennes opinions.

C’est justement dans cette situation assez confuse que le général O’Donnell a été appelé à la présidence du conseil, et il est arrivé au pouvoir avec la pensée évidente d’opérer une sorte de fusion entre tous les élémens sensés et modérés des anciens partis sur le terrain d’un libéralisme monarchique et constitutionnel. Réussira-t-il dans cette entreprise? Cette union libérale qu’il aspire à représenter, qui n’a été qu’une idée jusqu’ici, qui a un nom bien plus qu’une existence réelle, deviendra-t-elle un fait consistant et définitif? Telle est la question qui s’agite aujourd’hui au-delà des Pyrénées, et que les partis résolvent naturellement au gré de leurs intérêts ou de leurs passions. Jusqu’à ce moment le nouveau cabinet de Madrid a procédé principalement, il faut le dire, par des distributions d’emplois, chose importante en Espagne, où les noms propres sont la moitié de la politique. Dès son entrée au pouvoir, ainsi que nous le disions récemment, le général O’Donnell a placé dans les plus hautes fonctions militaires les généraux qui ont suivi sa fortune depuis 1854. Le cabinet n’a point tardé à laisser voir plus clairement sa pensée dans l’administration et dans l’ordre civil, appelant partout également des modérés et des progressistes. M. Isturiz reprend à Londres le poste diplomatique qu’il a longtemps occupé; le duc d’Ossuna va représenter la reine à Saint-Pétersbourg ; le duc de Rivas est remplacé comme ambassadeur à Paris par M. Mon ; M. Martinez de La Rosa est placé à la tête du conseil d’état, reconstitué et renouvelé. D’un autre côté, les progressistes ne sont pas moins favorisés : M. Santa-Cruz, ami du duc de la Victoire et l’un des ministres de la dernière révolution, devient président de la cour des comptes; un historien distingué, M. Modesto Lafuente, est mis à la direction des bibliothèques ; M. Miguel Roda a une des principales administrations financières. Les progressistes sont aussi en bon nombre dans le nouveau conseil d’état, où le général Infante et M. Lujan coudoient M. Pidal et M. Bertran de Lis, l’un des anciens collègues de M. Bravo Murillo. Enfin dans une promotion de nouveaux sénateurs figurent MM. Cortina, Gomez de La Serna, Cantero, le général Prim. Comme on voit, la fusion des noms est complète, une part est faite aux uns et aux autres; il y a même une province, à ce qu’il paraît, qui se trouve en ce moment avoir un gouverneur progressiste, un secrétaire du gouvernement modéré et un capitaine général vicalvariste.