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l’abri de la concurrence d’entreprise à entreprise, mais à l’abri de la concurrence de ligne à ligne au sein de chaque entreprise, et il n’y a plus qu’à louer M. Le ministre des travaux publics de la part qui lui revient dans ce grand résultat. Nous regrettons seulement que l’effet moral d’une si utile mesure ait été jusqu’à un certain point compromis dans l’opinion par les lenteurs de ce système des commissions consultatives dont nous signalons l’abus. Certes M. Le ministre des travaux publics avait en lui-même, et au sein des fonctionnaires supérieurs de l’administration des chemins de fer, assez de lumières pour arrêter avec conviction et confiance les dispositions des mesures qu’il avait résolues. Ces mesures auront à subir au conseil d’état et au corps législatif la double épreuve de la discussion; le ministre n’est responsable que devant l’empereur; pourquoi alors ce luxe de précautions et cette cinquième roue de la commission consultative, qui ne paraît servir qu’à prolonger de plusieurs semaines une élaboration dont les circonstances industrielles et financières réclamaient la prompte conclusion? Nous pourrions citer d’autres exemples de l’abus des commissions administratives ; c’est grâce aussi à une commission de ce genre que la France attend encore l’organisation d’un service transatlantique. Nous ne sommes donc point surpris du peu de faveur qu’obtient dans le public financier ce parasitisme des commissions.

Nous le répétons, ces observations critiques ne s’adressent point aux personnes : elles portent sur les choses, sur les lacunes d’un mécanisme qui sera peut-être excellent le jour où on y laissera passer la vapeur de la liberté. Nous les soumettons humblement aux législateurs de ce temps et de ce régime. Nous y joindrons une réflexion. Les institutions actuelles, l’histoire nous l’enseigne, sont quelque peu filles de la fameuse constitution de Sieyès. Le vice radical des conceptions de ce politique scolastique, c’était de placer l’harmonie sociale dans le jeu de mécanismes tournant chacun dans une sphère distincte et abrités contre le choc par un luxe d’inutiles et subtiles précautions, au lieu de le voir dans le mouvement des forces libres et vivantes s’équilibrant par leurs chocs mêmes. Nous ne sommes point surpris que Napoléon, tout en adoptant une grande partie de cette mécanique, ait refusé avec dédain le rouage auquel l’attachait le systématique rêveur. Celui qui fut l’empereur ne pouvait être le grand-électeur, « le porc à l’engrais » de Sieyès; mais ce pétulant génie, dont l’activité se mêlait à tout et défrayait à elle seule l’activité de plusieurs grandes nations, ne prenait pas garde que cette inertie qu’il flétrissait avec une si juste brutalité n’était pas seulement le lot du grand-électeur, qu’elle était le partage de toutes les fonctions routinières imaginées par Sieyès. Nous ne sommes point des génies, nous ne sommes pas des souverains : nous sommes d’humbles sujets qui croient encore être des citoyens; mais, autant que Napoléon, nous avons le droit de repousser avec mépris ce rôle de grand-électeur (nous n’osons répéter l’autre mot) auquel nous destinait le malfaisant génie de ce vieux prêtre. L’immobilité de Sieyès, voilà quelle serait la tendance et quel serait le péril de nos institutions actuelles, si elles n’étaient point rafraîchies par le souffle salubre de la liberté. Au nom de Dieu, ne craignons pas tant de nous heurter les uns les autres, mais vivons tous. Pour nous, nous faisons peu de cas de la lettre des institutions, car, nous le savons, les institutions ne s’écri-