Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 16.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ici, en présence d’un ennemi aguerri, discipliné surtout et familier avec le lieu de l’action, c’était un vice capital. Nous devions en faire la triste expérience. A peine fut-on à terre, à peine les matelots eurent-ils appris que la possession de la montagne était le premier but à atteindre, qu’entraînée par son ardeur, la principale colonne anglaise s’élançait en avant, sans donner à ses officiers le temps de la former. Déjà l’avant-garde l’avait précédée, et peu après la colonne du commandant Lagrandière s’engagea à son tour sur la montagne dans un ordre que ne devaient pas tarder à rendre impossible les difficultés sans cesse croissantes du terrain. Outre la pente assez raide de la côte, on se trouvait en effet obligé de percer un fourré qui devenait de plus en plus épais, où le feuillage empêchait les combattans de se distinguer même à de faibles distances, de manière à occasionner promptement une confusion aussi fâcheuse qu’inévitable. Bientôt les Russes renfermés dans le fort de la vallée le quittent pour s’élancer à leur tour sur la montagne. Grâce à la pente assez douce du versant oriental, grâce surtout à leur connaissance des lieux, ils arrivent avant nous au sommet, et la fusillade s’engage immédiatement au bruit de la charge que battent les tambours, tandis qu’un second corps de troupes ennemies expédié de la ville se dirige rapidement vers le lieu de l’action par un large sentier partant de la coupée et côtoyant la crête de la montagne. Pendant ce temps, voici ce qui se passait sur un autre point de ce théâtre restreint.

Aussitôt débarqué, le détachement composé des hommes de l’Obligado et de la Virago avait suivi la plage du côté de la coupée, pour gravir, au point le plus praticable, la montagne, qui se présentait de ce côté sous la forme d’une falaise presque verticale, sillonnée de larges ravines. L’ascension, déjà pénible ailleurs, devenait ici une véritable escalade que l’on n’eût peut-être pas tentée de sang-froid; nul appui pour se retenir, lorsque cédait sous les pieds un sol partout friable, qui retombait en pluie de pierres des premiers hommes aux derniers; mais en pareille circonstance l’excitation double l’énergie individuelle, et l’on arriva promptement en haut, en même temps qu’y débouchaient d’un autre côté les Russes arrivant de la coupée. Quelques instans de plus, et l’ennemi fusillait nos marins à découvert, dans une position qui ne permettait aucune résistance. Surpris au contraire par notre attaque imprévue, il dut se replier sur le versant oriental, laissant le champ libre au détachement pour rejoindre le corps principal. Ce fut dans cet engagement que périt, frappé d’une balle au cœur, un jeune officier, digne héritier d’un nom bien connu de la marine française, M. Gicquel-Destouches, de l’Obligado.

Cette diversion avait utilement servi le corps principal, qui, au