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naire indispensable de sa marche vers Lucknow. L’intrépide espion n’apportait aucun document écrit qui pût tomber avec lui aux mains des rebelles ; il attestait simplement la vérité de son rapport, refusa toute récompense pécuniaire, et voulut, à peine arrivé, sortir de la résidence à la faveur d’une pluie battante qui rendait bien moins redoutable la surveillance des postes ennemis. On lui confia un petit billet pour le commandant de la colonne de secours, puis on attendit avec une impatience joyeuse la réalisation des espérances qui étaient si à propos venues ranimer les courages abattus.

Sous l’influence du mauvais temps, le feu de l’ennemi avait sensiblement diminué. On profitait de cette bonace provisoire pour mille travaux urgens : la poudre à extraire des souterrains où elle était cachée, les tranchées à réparer, les animaux morts à enfouir, les provisions de blé à réduire en farine, mais surtout les travaux de l’assiégeant à surveiller. On remarquait en effet une activité extraordinaire sur plusieurs points à l’extérieur de l’enceinte, et notamment en face du redan. Négliger ces inquiétans symptômes eût été une grave imprudence. Aussi, par les nuits sombres et pluvieuses, les officiers du génie, se glissant furtivement hors de l’enceinte, allaient-ils fréquemment, au risque imminent de leur vie, examiner autant que possible dans quelle direction étaient poussées les approches souterraines que l’ennemi se ménageait.

Le 25 juillet, les nouvelles apportées le 23 avaient été pleinement confirmées. Un autre pensionné nommé Ungud, qu’on avait dépêché le 22 dans la direction de Cawnpore, parvint à rentrer dans la résidence. Il apportait une lettre du quartier-maître-général de la petite armée commandée par le général Havelock. Ungud, il est vrai, ne parlait, comme étant en marche vers Lucknow, que de sept cents soldats anglais, plus un régiment de l’armée indigène ; mais ce n’était là sans doute qu’une avant-garde, puisqu’il annonçait en même temps plusieurs engagemens heureux, la délivrance de Cawnpore arrachée au féroce Nana, et Bénarès, Allahabad, Agra, restés aux mains des Anglais. On continua donc à espérer, à se réjouir. Chaque soir, des chants d’allégresse, entonnés en chœur, portaient aux assiégeans des défis indirects, auxquels presque chaque soir ils répondaient par de fausses attaques qui interrompaient les couplets commencés, et cela au grand détriment du repos de la nuit. « Mais, nous dit M. Rees, arriva le 27, jour où nous attendions la venue de nos amis, et pas un soldat ne parut ; le 28, et pas de secours ! Le 29, le 30, le 31, aucun symptôme de délivrance prochaine ! Aussi quelle torture !… Le cœur commençait à nous manquer. Beaucoup d’entre nous (je n’étais pas de ceux-là) perdirent alors jusqu’à la dernière lueur d’un espoir quelconque, et s’abandonnèrent à un dé-