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ce résultat est curieux. Vers la fin du siècle dernier, la féodalité hawaïenne avait eu son Louis XIV dans la personne de Kamehameha Ier, dit le Grand, lequel, d’abord simple chef d’une des îles du groupe, en était arrivé, à force de conquêtes successives, à réunir l’archipel entier sous sa domination. Survinrent ces agens anglais, marins et consuls, si activement à l’œuvre sur tous les points du globe; peu à peu, grâce à l’extension sans cesse croissante de leur influence, la monarchie, d’absolue qu’elle était, devint représentative, et nul doute qu’au bout de quelques années la dynastie constitutionnelle de Kamehameha n’eût été amenée à abriter officiellement ses théories gouvernementales sous le protectorat du pavillon britannique, lorsqu’un beau jour la baleine, traquée sur tous les points de l’Atlantique, vint se réfugier dans les mers qui entourent les Sandwich, entraînant après elle comme une meute avide l’innombrable flotte des baleiniers américains. Le précieux archipel devenait ainsi le centre de cette pêche opulente qui rapporte chaque année aux États-Unis plus d’or que tous les placers de la Californie[1]. Dès lors aussi la lutte était ouverte entre les deux branches de la grande famille anglo-saxonne, mais le résultat n’en devait pas être douteux; quelle que fût la ténacité anglaise, d’année en année grandissait invinciblement l’influence rivale du Yankee, qui abandonne si rarement ce qu’elle a une fois conquis. Bref, tout devint en quelque sorte américain dans les îles, si bien qu’aujourd’hui l’on peut facilement prévoir le jour où, par la force des choses, cette nouvelle étoile viendra s’ajouter à celles qui brillent déjà sur le yacht azuré du pavillon de l’Union.

Il est hors de doute que ce sera là une conquête à laquelle devront applaudir tous les esprits éclairés, sans distinction de nationalité; mais il est pénible d’ajouter que le premier possesseur auquel a été départi ce sol fertile ne sera pas témoin de son ère de prospérité. Du jour en effet où est arrivée la race blanche, a commencé pour l’Hawaïen cette rapide dépopulation qui presque par-

  1. On peut estimer à 60 millions de francs le produit annuel de la pêche de la baleine dans l’Océan-Pacifique septentrional, et à près de 300 le nombre des navires qui s’y livrent. L’immense majorité (258 sur 275) en est américaine, et l’on sera peut-être étonné d’apprendre que la France se trouve sur cette liste immédiatement en seconde ligue, bien qu’à une distance qui rend cette place moins significative qu’elle ne le paraît d’abord (10 sur 275). En 1852, près de 500,000 barils d’huile et plus de 5 millions de livres de fanons avaient été le résultat de la pêche. Si l’on songe que 10,000 matelots arment cette flotte, et que tous les bâtimens dont elle se compose viennent chaque année relâcher aux Sandwich, principalement à Honolulu, on comprendra le mouvement et la richesse apportés dans ce port par cette masse de consommateurs empressés de dépenser l’argent qu’ils viennent de recevoir. Aussi Oahu n’est-elle plus appelée que l’île d’or par les indigènes, et le revenu du gouvernement hawaïen, qui n’était que de 406,000 francs en 1846, est-il monté en 1853 au chiffre de 2,193,500 francs.