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Je n’insisterais pas sur ces subtilités historiques, si les fautes de conduite de l’école libérale n’avaient tenu presque toutes à sa philosophie de l’histoire, incomplète et parfois défectueuse. Une erreur sur la révolution carlovingienne, sur les commencemens de la féodalité, sur le XIIIe siècle, sur Philippe le Bel, n’est pas aussi inoffensive que le croit M. de Sacy. On porte toujours la conséquence du principe d’où l’on est sorti. Issu de l’idée abstraite d’une souveraineté rationnelle exercée pour le plus grand bien de la nation, le parti libéral ne put s’envisager comme un simple mainteneur chargé de protéger les droits de tous et de développer l’initiative de chacun. Par la nécessité des choses, il fut amené à trop gouverner. Il vit avec raison qu’une société, pour être florissante, doit être très forte ; mais il se trompa en croyant que le moyen de fortifier une société est de la gouverner beaucoup. Malgré d’innombrables mesures de précaution, l’ordre qu’il avait établi et soutenu, non sans gloire, tomba par la plus inouïe des surprises dont l’histoire ait gardé le souvenir. Je ne veux pas rendre le parti libéral responsable d’une situation qu’il n’avait pas créée. Un principe fatal le dominait : la révolution, à laquelle il se rattachait, pouvait produire des administrations, mais non des corps. Le principe qui crée les institutions, à savoir la conquête et le droit personnel, était le principe même qu’elle entreprenait de supprimer.

L’organisation de l’instruction publique me paraît l’exemple le plus propre à faire comprendre les graves conséquences du principe adopté par l’école libérale, et comment ce principe est susceptible par sa nature de se tourner contre ceux qui l’ont fondé. L’Angleterre, l’Allemagne, l’ancienne France, avaient pourvu aux intérêts de la science et de l’éducation par des corporations riches et à peu près indépendantes du pouvoir civil. La France nouvelle, selon son habitude, a résolu le même problème par l’administration. Annuellement, chaque ville de France reçoit d’un bureau de la rue de Grenelle des hommes qu’elle ne connaît pas, et qui sont chargés d’élever ses enfans selon certains règlemens, à la confection desquels elle n’a eu aucune part. « Tout ce qui est relatif aux repas, aux récréations, aux promenades, au sommeil, dit le règlement de 1802, se fera par compagnie… Il y aura dans chaque lycée une bibliothèque de quinze cents volumes ; toutes les bibliothèques contiendront les mêmes ouvrages ; aucun ouvrage ne pourra y être placé sans l’autorisation du ministre de l’intérieur. » Cette création a été considérée comme la plus belle de l’époque, et je serais volontiers de cet avis, s’il m’était démontré que les hommes chargés d’appliquer un tel règlement seront toujours des hommes d’un esprit large, fin, distingué, comprenant avec délicatesse les problèmes de