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Elle ne vit pas que de tous ses efforts ne pouvait sortir qu’une bonne administration, mais jamais la liberté, puisque la liberté résulte d’un droit antérieur et supérieur à celui de l’état, et non d’une déclaration improvisée ou d’un raisonnement philosophique plus ou moins bien déduit.

Des deux systèmes de politique qui se partageront éternellement le monde, l’un se fondant sur le droit abstrait, l’autre sur la possession antérieure, la France, pays de logique et d’idées généreuses, a toujours préféré le premier. Qui oserait lui en faire un reproche, puisque c’est à ce glorieux défaut qu’elle doit la splendeur de son histoire et la sympathie du genre humain? Mais telle est la nature fuyante de tout ce qui tient aux sociétés que la nation qui, avec une sincérité parfaite, a voulu travailler à la liberté du genre humain était mise par cela même dans l’impossibilité de fonder la sienne. Des serfs achetant leur liberté son par son et arrivant après des efforts séculaires, non à être les égaux de leurs maîtres, mais à exister vis-à-vis d’eux, se sont trouvés dans les temps modernes plus libres que la nation qui dès le moyen âge proclama les droits de l’homme[1]. La liberté achetée ou arrachée pied à pied a été plus durable que la liberté par nature. En croyant fonder le droit abstrait, on fondait la servitude, tandis que les hauts barons d’Angleterre, fort peu généreux, fort peu éclairés, mais intraitables quand il s’agissait de leurs privilèges, ont en les défendant fondé la vraie liberté.

Sur presque tous les points qui touchent à l’organisation de la société civile, l’école libérale me paraît ainsi avoir beaucoup mieux vu le but à atteindre que les moyens pour l’atteindre. Supprimant les privilèges des individus et des corps, elle ne pouvait envisager les différens offices sociaux que comme des attributions de l’état. Le pouvoir dans un tel système étant exercé uniquement par des fonctionnaires, et ces fonctionnaires n’ayant point la propriété de leurs fonctions, ni par conséquent aucune possibilité de résistance, on voit à quel degré de tyrannie on pouvait se trouver ainsi amené. Certes, s’il y a quelque chose de théoriquement absurde, c’est la vénalité des offices judiciaires, en vertu de laquelle certaines personnes achetaient et vendaient le droit de juger. Et cependant on comprend qu’un magistrat possédant sa charge, mis ainsi au-dessus de tout désir et de toute espérance, peut offrir plus de garanties que le magistrat fonctionnaire et par conséquent dépendant de celui qui confère la fonction. — Il en faut dire autant du pouvoir exé-

  1. On connaît la curieuse ordonnance de Louis X : « Comme selon le droit de nature chacun doit être franc,... nous, considérant que notre royaume est dit et nommé le royaume des Francs, et voulant que la chose s’accorde vraiment avec le nom, par délibération de notre grand conseil, avons ordonné et ordonnons... »