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la littérature italienne, de la littérature espagnole, de notre moyen âge provençal, ne s’occupent presque jamais de notre grand siècle, et ont peine à en voir l’intérêt. Ils ont grand tort, suivant moi; mais leur négligence tient à une cause fort grave. Cette littérature est trop exclusivement française : elle souffrira quelque chose, je le crains, de l’avènement d’une critique dont la patrie est l’esprit humain, et dont le propre est de n’avoir pas de préférences exclusives. On ne lui contestera pas son titre de classique; on la laissera en possession des écoles, où elle seule peut offrir un aliment approprié à la jeunesse; les curieux la liront, comme ils lisent toute chose, à titre de document pour l’histoire d’une époque mémorable; les écrivains y chercheront le secret d’exprimer en notre langue même des pensées qui furent étrangères au siècle qui la créa. Cependant qu’elle reste dans son ensemble la lecture exclusive des hommes de goût, que les esprits distingués de tous les temps continuent d’y recourir, pour s’élever, se consoler, s’éclairer sur leurs destinées, voilà ce dont je doute. Nous avons dépassé l’état intellectuel où cette littérature se produisit; nous voyons mille choses que les hommes les plus pénétrans du XVIIe siècle ne voyaient pas; le fonds de connaissances dont ils vivaient est à nos yeux incomplet et inexact. Il est difficile que la faveur du public qui lit, non par acquit de conscience, mais par besoin intime, s’attache indéfiniment à des livres où il y a peu de chose à apprendre sur les problèmes qui nous préoccupent, où notre sentiment moral et religieux est fréquemment blessé, et où nous relevons à chaque pas des erreurs, tout en admirant le génie de ceux qui les commettent.

En histoire, je suis également tenté de trouver M. de Sacy trop peu soucieux des origines. Fidèle à son système littéraire, M. de Sacy craint que la discussion des faits et la diversité des opinions ne nuisent au beau style de l’histoire; il trouve que le plus simple serait de prendre un système selon son goût, et de le suivre sur parole. « Je confesserai tout doucement, dit-il, qu’à l’aspect formidable de ces piles d’in-folios qui bouchent l’entrée de notre histoire, je me suis senti plus d’une fois prêt à maudire l’érudition et à regretter que nous ne nous en soyons pas tenus grossièrement à notre origine troyenne et à notre bon roi Francion, fils d’Hector et fondateur de la monarchie française. » Il pardonne à peine aux historiens les plus éloquens de notre temps d’être à la fois savans et critiques; il voudrait une version convenue, sur laquelle les historiens rhéteurs ou moralistes, les Tite-Live et les Plutarque, pussent librement discourir. Le XVIIe siècle (la grande école des bénédictins exceptée) entendait bien l’histoire de cette manière; mais c’est là un des points sur lesquels il nous est le plus impossible de suivre sa tradition.